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Elanco & Proplan

5 octobre 2020

Hippocampe jette l'éponge. Cette centrale historique était la seule détenue par un groupe privé américain…

par Eric Vandaële

Temps de lecture  6 min

En 2007, au moment de son rachat par Henry Schein, Hippocampe était dans le quarté de tête des centrales vétérinaires et talonnait Coveto pour le rang de numéro 3. Aujourd'hui, plus de 12 ans, plus tard, Hippocampe est largement distancé par tous ses concurrents. La faute à qui ? À ses concurrents trop agressifs ? Aux vétérinaires trop gourmands en remises ? Ou à la stratégie mondiale de son actionnaire Henry Schein ? Graphique LeFil. Estimation des ventes annuelles (HT) sur le périmètre dit de l'AIEMV incluant les ventes de médicaments vétérinaires et des autres produits de santé animale (petfood…) vendus aux vétérinaires.
En 2007, au moment de son rachat par Henry Schein, Hippocampe était dans le quarté de tête des centrales vétérinaires et talonnait Coveto pour le rang de numéro 3. Aujourd'hui, plus de 12 ans, plus tard, Hippocampe est largement distancé par tous ses concurrents. La faute à qui ? À ses concurrents trop agressifs ? Aux vétérinaires trop gourmands en remises ? Ou à la stratégie mondiale de son actionnaire Henry Schein ? Graphique LeFil. Estimation des ventes annuelles (HT) sur le périmètre dit de l'AIEMV incluant les ventes de médicaments vétérinaires et des autres produits de santé animale (petfood…) vendus aux vétérinaires.
 

Hippocampe jette l'éponge. Ce distributeur en gros, le seul qui appartenait à un groupe vétérinaire mondial présent dans 15 pays d'Europe, Henry Schein puis Covetrus, a décidé de cesser son activité en France au plus tard à la fin de l'année 2020 ou tout début de 2021.

Il s'agit pourtant de l'une des quatre centrales historiques créée en 1978, sous le nom de Nordivet à Bayeux. À l'époque, l'entrée en application de la loi de 1975 sur la pharmacie vétérinaire favorise la naissance des centrales d'achats qui, cinquante ans plus tard, sont devenues Alcyon, Centravet ou Coveto.

La direction d'Hippocampe a annoncé le 1er octobre à ses 90 salariés qu'elle avait l'intention de fermer ses portes d'ici la fin de l'année 2020 ou le début de l'année 2021. Une procédure de cessation d'activité est donc en cours.

Mais, tant que la centrale n'est pas fermée, elle poursuit son activité, souligne son porte-parole. Elle continuera donc à régler ses factures à ses fournisseurs, payer ses salariés et servir ses clients, principalement des cliniques vétérinaires de Normandie à partir de son site de Caen qui emploie 60 salariés.

En 1995, Hippocampe regroupe Nordivet, la SPEV et le site lié à Medicavet

Hippocampe dispose de trois autres sites beaucoup plus petits : un à Bressuire dans les Deux-Sèvres, un à Nevers et un plus petit dans l'Indre. En effet, Hippocampe résulte du regroupement en 1995 de trois centrales régionales historiques : la Normande Nordivet qui de Bayeux déménagera ensuite à Caen, la Poitevine SPEV (ex-société poitevine d'expansion vétérinaire) basée à Bressuire et la Bourguignonne MDV près de Nevers (Nièvre) qui fournit toujours aujourd'hui MedicaVet, une société spécialisée dans la distribution des médicaments nécessaires aux plans sanitaires d'élevage mis en œuvre par les groupements sanitaires de Bourgogne en partenariat avec les vétérinaires locaux.

En 2007, c'est l'apogée et le rachat par Henry Schein

Entre 1995 et 2007, Hippocampe se porte plutôt bien. La centrale double ou même triple son chiffre d'affaires jusqu'à l'année 2007. Mais 30 ans après sa création en 1978, les vétérinaires entrepreneurs qui avaient fondé cette entreprise s'approchent de la retraite. Dans les autres centrales vétérinaires sur le modèle coopératif comme Centravet et Coveto, ou assez proche de ce modèle comme Alcyon, le capital continue à être éparpillé et détenu par de nombreux vétérinaires praticiens après le départ de leurs leaders-fondateurs historiques.

À l'inverse, le capital d'Hippocampe beaucoup moins éparpillé est détenu en majorité par un petit nombre de vétérinaires « gros actionnaires ». Ils cherchent donc à revendre leurs parts en valorisant au mieux l'outil qu'ils ont créé et développé. Ces actionnaires recherchent donc le meilleur repreneur à leurs yeux. Ils font alors plutôt une bonne opération en cédant leur centrale au groupe américain Henry Schein spécialisé dans la distribution de produits et de services auprès des dentistes, des médecins et… des vétérinaires. D'autant que le bilan de l'année 2007 est bon. Le chiffre d'affaires frôle les 90 millions €, un record pour Hippocampe qui ne sera jamais égalé depuis.

Henry Schein se voit en leader mondial de la santé animale

Pour la première et unique fois, une centrale fondée par des vétérinaires se retrouve aux mains d'un groupe américain avec des ambitions non pas hexagonales mais au minimum, européennes, voire mondiales. Henry Schein se présente alors comme « le leader mondial de la santé animale » : un distributeur de produits, de matériel vétérinaire ou de services logiciels exclusifs. Hippocampe devient sa filiale française d'une distribution qu'il imagine mondialisée. D'ailleurs le groupe basé aux USA dispose de filiales dans environ 15 pays d'Europe : Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas, Belgique, Danemark, Allemagne, Autriche, Tchéquie, Slovaquie, Pologne, Roumanie, Suisse…

Henry Schein développe ainsi une gamme d'aliments exclusive : Calibra°. Il rachète aussi Scil, connue pour ses analyseurs et ses équipements de radiologie ainsi que Kruuse et son immense catalogue de matériel vétérinaire. Aux USA et en Australie, il investit aussi beaucoup dans les solutions digitales pour aider les vétérinaires à mieux gérer leurs cliniques, leurs ordonnances et surtout de leurs renouvellements pour les affections chroniques, les prises de rendez-vous en ligne, les sites de vente en ligne etc. En France, Henry Schein rachète Assistovet et son logiciel seulement fin 2017…

Les ventes d'Hippocampe s'effritent depuis 2007 et s'effondrent depuis 2017

Selon le site societe.com, le chiffre d'affaires d'Hippocampe a explosé entre 2005 et 2007, l'année de son rachat par le groupe Henry Schein de distribution mondiale de produits vétérinaires. Depuis, il s'effrite avant de s'effondrer à partir de 2017.

Source des données : Societe.com (chiffre d'affaires estimé pour 2019).

Henry Schein n'adhère pas vraiment au concept de la centrale à la française, de type grossiste-répartiteur. Hippocampe continue néanmoins de livrer rapidement tous les produits à tous ses clients, comme l'exige le code de la santé publique. Henry Schein se voit davantage comme un leader européen plus sélectif, voire exclusif, pour distribuer des gammes de produits et de services innovants notamment en logiciels et en matériel vétérinaire.

Entre 2007, l'année du rachat, et 2018, le chiffre d'affaires d'Hippocampe s'effrite année après année… Il passe de 88 millions d'euros en 2007 à 69 millions d'euros en 2018, une perte de 21 % de chiffre d'affaires en dix ans. Sur la même période, le marché vétérinaire en animaux de compagnie a augmenté 60 %. Hippocampe peu à peu décroche de ses concurrents, Alcyon, Centravet et Coveto.

En 2019, changement d'actionnaires avec l'arrivée de Covetrus

En 2019, Henry Schein décide de se séparer au niveau mondial de ses activités en santé animale et de les fusionner avec Vet First Choice, une plateforme vétérinaire de services digitaux présente aux USA, très impliquée dans la gestion des ordonnances des clients de 750 cliniques vétérinaires et plus de 5000 praticiens.

Cette fusion donne naissance à une nouvelle entité — Covetrus — détenue à 63 % par Henry Schein. Covetrus prend donc le contrôle d'Hippocampe. En 2019, pour sa première année d'existence, le chiffre d'affaires mondial de Covetrus s'élève à près de 4 milliards de dollars dont 1,5 milliard en Europe. Mais Covetrus affiche déjà une perte d'un milliard de dollars et une action cotée au Nasdaq donc le cours a été divisé par trois en quelques mois.

En France, Hippocampe continue à perdre de plus en plus de parts de marché sur ces clients vétérinaires en 2019 puis encore en 2020. Sur le périmètre de l'AIEMV, le marché des médicaments et des produits utilisés ou vendus par les vétérinaires, Hippocampe perd encore plus de 20 % de son chiffre d'affaires entre 2019 et 2020.

Hippocampe, victime de la concurrence des centrales et des GIE

Le 1er octobre 2020, Covetrus jette l'éponge et décide de cesser ses activités en France. Pour le porte-parole d'Hippocampe, ce n'est pas la stratégie de Henry Schein, puis, depuis un peu plus d'un an, de Covetrus qui est à l'origine de cette triste faillite. Mais, à force de voir son chiffre d'affaires se réduire, année après année, Hippocampe n'avait plus, selon son porte-parole, la taille critique pour négocier des remises commerciales suffisamment importantes auprès des fabricants de médicaments. Les grosses centrales bénéficieraient de conditions commerciales plus avantageuses. À l'autre bout de la chaîne, les regroupements en GIE des cliniques vétérinaires lui auraient aussi fait perdre ses marges. Coincée entre des fournisseurs moins généreux et des clients plus gourmands, Hippocampe dégageait des marges bien trop faibles pour devenir rentable, ce qui a obligé la direction à prononcer une cessation d'activité. Depuis 2016, les résultats d'Hippocampe sont d'ailleurs tous négatifs selon le site societe.com.

Hippocampe affirme avoir cherché en vain des repreneurs

Avant de décider de mettre la clef sous la porte fin 2020, les dirigeants auraient, depuis longtemps disent-ils, recherché des repreneurs pour ces sites. Mais, semble-t-il, en vain. Pourtant, certains sites, notamment celui de Caen, auraient pu intéresser d'autres centrales vétérinaires. Le porte-parole d'Hippocampe assure que la société n'est toutefois pas en cessation de paiements et fera face à toutes ses échéances jusqu'à la cessation effective d'activités au plus tard début 2021.