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Elanco & Proplan

5 septembre 2024

Les NAC aussi, réservoirs de staphylocoques multi-résistants

par Caroline Driot

Temps de lecture  4 min

Des souches de staphylocoques multirésistants sont présentes en portage à une fréquence élevée même chez les NAC sains, selon une étude espagnole, qui recommande de prendre en compte ces espèces dans la surveillance de l'antibiorésistance vétérinaire (cliché Pixabay).
Des souches de staphylocoques multirésistants sont présentes en portage à une fréquence élevée même chez les NAC sains, selon une étude espagnole, qui recommande de prendre en compte ces espèces dans la surveillance de l'antibiorésistance vétérinaire (cliché Pixabay).
 

Partout dans le monde, le développement de l'antibiorésistance (ABR) constitue une menace pour les santés humaine et animale. En particulier, l'émergence de souches bactériennes multirésistantes (résistantes vis-à-vis d'au moins trois familles d'antibiotiques) représente un risque majeur d'échec thérapeutique. L'antibiorésistance ne connaît pas de barrière d'espèces : des bactéries ayant acquis des résistances chez l'animal sont susceptibles d'infecter l'Homme, et réciproquement, et de diffuser dans l'environnement. En bref : impossible d'appréhender et de lutter contre ce phénomène sans une approche “One Health”.

NAC, staphylocoques et antibiorésistance

Côté santé animale, des chercheurs espagnols se sont intéressés à la prévalence des résistances aux antibiotiques chez les NAC. Plus précisément, à la prévalence de l'antibiorésistance des staphylocoques isolés chez les petits mammifères de cette catégorie d'animaux, dont la population a « explosé » ces dernières années, pour atteindre 29 millions d'individus en Europe. Quant à la famille des Staphylococceae, elle revêt un intérêt scientifique particulier, en lien avec une très large distribution au sein de la flore commensale cutanéo-muqueuse de l'Homme comme de l'animal. Pathogènes opportunistes, certains de ses représentants peuvent générer des infections graves, voire mortelles. Staphylococcus aureus constitue ainsi un sujet de recherche prioritaire pour l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), du fait de sa présence ubiquitaire, de son haut niveau de résistance, et de l'émergence de souches résistantes à la méticilline (SARM), et pour certaines, en milieu hospitalier, à la plupart des anti-infectieux connus.

Écouvillons de flore commensale et pathogène

Cette étude pilote inclut l'ensemble des petits mammifères présentés en consultation entre janvier et juin 2023 dans un centre vétérinaire spécialisé NAC à Valence. Pour chaque individu, les données épidémiologiques (espèce, sexe, âge, présence d'un autre animal dans le foyer, accès à l'extérieur) et cliniques (antécédents pathologiques, traitements antibiotiques passés ou actuels) étaient recueillies par le vétérinaire. Des écouvillons, nasal et auriculaire, étaient ensuite réalisés chez les animaux présumés sains après examen clinique. Chez les animaux atteints de lésions cutanées infectées, un écouvillon des plaies était réalisé. Ces échantillons étaient mis en culture, les bactéries isolées étaient identifiées, puis soumises à un antibiogramme. Au total, 81 petits mammifères ont fait l'objet de prélèvements, dont une majorité de lapins (63 %, n=51), suivis par les cochons d'Inde (22 %, n=18), puis les rats et hamsters (3,7 %, n=3), les gerbilles (2,5 %, n=2) et un représentant des espèces suivantes : chinchilla, hérisson, furet, et écureuil volant. Au sein du panel étudié, seuls neuf animaux présentaient une lésion cutanée, les autres étant asymptomatiques (72/81).

Flore commensale : 85 % de bactéries multirésistantes

Toutes espèces confondues, la prévalence globale des staphylocoques s'élevait à 48 % (n=39/81) : 34 animaux hébergeaient des staphylocoques au sein de leur flore commensale, et 5 dans une lésion cutanée. Considérée comme le berceau évolutif du gène codant pour la résistance à la méticilline, Mammaliicoccus sciuri, anciennement Staphylococcus sciuri, était la bactérie la plus fréquemment isolée de la flore commensale, suivie par S. aureus. Toutes les souches de staphylocoques commensaux présentaient au moins une résistance à l'un des 27 antibiotiques testés, et 85 % (29/34) étaient multirésistantes. Les plus hauts niveaux d'antibiorésistance étaient observés pour la tiamuline, les tétracyclines (65 %), et l'acide fusidique (50 %). Cette dernière molécule est classée antibiotique critique par l'OMS. La résistance des souches commensales aux quinolones s'élevait à 34 % - probablement en lien avec la forte utilisation de ces antibiotiques chez les NAC -, contre 29 % pour les ß-lactamases (mais 50 % pour la pénicilline seule), et 18 % pour les sulfamides et le triméthoprime. Près de 15 % des staphylocoques commensaux présentaient un phénotype de résistance à la méticilline (les souches n'ont pas été typées).

Des résistances aux antibiotiques réservés à l'usage humain

Parmi les staphylocoques isolés des lésions cutanées (n=9 animaux), S. aureus était le plus commun. Toutes les souches de Staphylococcus sp. ou Mammaliicoccus sp. présentaient au moins une résistance à l'un des antibiotiques testés. Deux d'entre elles étaient multirésistantes. Les taux de résistance à l'érythromycine, à la pénicilline et à l'ampicilline culminaient à 80 %, et étaient de 60 % pour l'ensemble des ß-lactamines testées et de 20 % pour les quinolones. Aucun phénotype de résistance contre l'association triméthoprime-sulfamide, ou à la méticilline n'était observée  chez ces staphylocoques isolés des lésions cutanées.

Selon les auteurs, les niveaux d'antibiorésistance relevés dans cette étude corroborent les résultats de précédents travaux, et soulignent la nécessité de suivre de près le développement des résistances aux anti-infectieux chez tous les animaux de compagnie (NAC inclus), afin de protéger la santé publique. Ils estiment « inquiétant » que certaines souches commensales de Staphylococcus sp. présentaient un taux de résistance élevé à des quinolones pourtant interdites en médecine vétérinaire (lévofloxacine, ciprofloxacine…). Près de 15 % présentaient une résistance à la mupirocine, un antibiotique de dernier recours réservé à l'usage topique en médecine humaine. Quant à savoir si une telle résistance a été acquise chez l'animal, ou transmise par son propriétaire… Les auteurs ne posent pas la question. Et pourtant, l'Homme représente aussi un réservoir connu de bactéries multirésistantes !