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Elanco & Proplan

6 septembre 2024

Communication interespèces : le chien comprend les mots émis par une machine

par Agnès Faessel

Temps de lecture  5 min

Le soundboard permet de diffuser une série de sons préenregistrés, des mots enregistrés par le propriétaire dans cette étude (source Paperzip).
Le soundboard permet de diffuser une série de sons préenregistrés, des mots enregistrés par le propriétaire dans cette étude (source Paperzip).
 

« Il comprend tout ce que je lui dis ! ». Ce n'est pas vrai. Mais ce n'est pas complètement faux non plus : selon une étude américaine, le chien peut distinguer et comprendre des mots. La question était finalement de savoir si des mots ou de l'intonation et de la communication non verbale (gestes, attitude, etc.) dépend la compréhension de l'animal. Et ainsi d'explorer l'intérêt pratique que peuvent avoir les outils numériques de communication interespèces, en vogue auprès des propriétaires. L'objectif de ces outils est autant de parler à l'animal que de le « faire parler ».

Des mots concrets d'activités routinières

Ces outils ludiques, de type soundboard (comme en contiennent les tables de mixage), consistent en effet à enregistrer des séquences audios (un ou quelques mots avec le son de sa propre voix), reproduits ensuite à l'envie en « pressant sur un bouton ». Et, selon les utilisateurs, le chien serait capable d'apprendre à appuyer lui-même sur le bon bouton, pour solliciter une action de son propriétaire (l'emmener en promenade ou jouer avec lui, par exemple).

L'efficacité de cette communication, qui repose sur la production de mots, présuppose que le chien comprend ces mots. C'est ce que des chercheurs américains ont souhaité vérifier, au travers d'une étude en deux parties.

Dans ce cadre, ils ont choisi d'utiliser des mots concrets, correspondant à des événements et activités du quotidien (tels que « dehors » pour être associé à l'ouverture de la porte pour accéder à l'extérieur), et non des notions plus abstraites telles que « plus tard » ou « demain ». Les mots relatifs à 3 contextes ont ainsi été testés – l'alimentation, le jeu et l'extérieur –, avec des variants pour chacun (« jeu »/« jouet » ou « manger »/« repas »/« faim »… par exemple). Un mot dépourvu de sens (« daxing ») a été utilisé comme contrôle.

Première étude en aveugle

Dans la première expérimentation, les 30 chiens de compagnie inclus avaient ainsi été entraînés à l'usage d'un soundboard par leur propriétaire. Ils avaient été habitués aussi à des personnes portant un accessoire (chapeau, lunettes de soleil…) afin de ne pas être surpris par l'aspect d'inconnus. Ces chiens (16 femelles et 14 mâles) étaient de divers âges et races.

Deux expérimentateurs se sont déplacés au domicile de chacun, le premier restant d'abord dehors tandis que le second faisait d'emblée connaissance avec le chien et préparait le matériel. Les symboles sur les 3 boutons du soundboard étaient camouflés et le propriétaire enregistrait sa voix prononçant le mot contrôle (« daxing »), commandé par un nouveau bouton. Des caméras étaient placées afin de filmer le comportement du chien à l'actionnement des boutons (aller vers la porte, vers sa gamelle, vers ses jouets). Le premier expérimentateur pouvait ensuite les rejoindre.

L'expérimentateur 1 comme le propriétaire portaient des casques afin de ne pas entendre les sons produits ; la vue du propriétaire était également occultée. Au signal de l'expérimentateur 2, le premier appuyait sur le bouton désigné (sans donc entendre le mot émis). Le comportement du chien était observé. Puis le propriétaire avait instruction d'agir conformément au mot diffusé (aller ouvrir la porte pour « dehors » par exemple) ; pour le mot contrôle, il plaçait ses mains sur la tête et effectuait un cercle. Cette action du propriétaire n'était pas vue par l'expérimentateur 1, qui n'avait donc pas connaissance du mot préalablement entendu par le chien.

Seconde étude comparative

Dans la seconde expérimentation, un autre groupe de 29 chiens (9 mâles et 20 femelles) a été formé, comprenant à nouveau des sujets de divers âges et races et entraînés de la même manière au soundboard. Les séquences ont été réalisées par les propriétaires en autonomie, après un briefing précis : pendant 4 jours (répartis sur une période de 15 jours au maximum), et à raison de 2 fois par jour, le propriétaire prononçait l'un des 4 mots ou actionnait l'un des 4 boutons du dispositif (le mot contrôle avait été préalablement enregistré, en l'absence du chien). Il n'interagissait pas avec son chien dans les minutes suivantes, puis effectuait l'action correspondante (comme dans la première expérimentation). Le propriétaire portait des lunettes de soleil à miroir afin de cacher ses yeux de la vue de l'animal. Le comportement du chien était filmé durant toute la séquence.

Une bonne compréhension des mots

Les enregistrements vidéo ont été analysés, en aveugle également, évaluant si les chiens avaient manifesté un comportement cohérent avec le mot entendu. L'objectif était de mesurer la connexion entre le(s) mots(s) et ce qu'ils entraînent afin de l'anticiper (par exemple aller chercher sa balle pour « jeu »).

Les résultats des deux expérimentations montrent que les chiens reconnaissent et comprennent les mots relatifs au jeu et à l'accès à l'extérieur : ils réagissent logiquement en conséquence. En revanche, les résultats sont non concluants pour les mots liés à l'alimentation. Toutefois, les chiens avaient été nourris avant la réalisation des tests, ce qui a pu biaiser ces résultats.

L'expérimentation 1 montre aussi que les réactions du chien sont indépendantes de la personne qui appuie sur le bouton de l'appareil, d'autant plus que celle-ci ne connaissait pas le mot émis. La compréhension des mots n'est donc pas biaisée par l'attitude de la personne (le comportement non verbal) ni par des signaux contextuels (qui étaient évités, l'heure du repas par exemple).

Enfin, l'expérimentation 2 ne détecte aucune différence selon le mode de production des mots, prononcés par une personne ou reproduits par la machine ; et ici pour les 3 types d'événements. Ainsi, la réaction de l'animal ne repose pas (ou pas seulement) sur la localisation du bouton sur l'appareil, mais bien sur le mot entendu.

Intérêt des citoyens-expérimentateurs

Un autre objectif de l'étude était d'évaluer la qualité des études menées par des citoyens (sans intervention de chercheurs-expérimentateurs) dans ce programme de recherches ou programme similaires. La comparaison des résultats des deux expérimentations (s'agissant des mots issus du soundboard) montre qu'ils sont similaires.

Par ailleurs, la position de la tête des chiens (tête penchée, à droite ou à gauche) à l'écoute des mots a été analysée, s'appuyant sur des données récentes montrant qu'un chien incline davantage la tête en réponse à un mot familier (versus le mot contrôle). Mais la véracité de cet indicateur n'a pas pu être confirmée ici, trop peu de chiens ayant ainsi penché leur tête au cours des expérimentations.

Vers des outils de communication interespèces ?

Ces données étant établies, la suite sera d'évaluer les performances des chiens à utiliser eux-mêmes ces outils, pour communiquer verbalement avec l'homme… Mais encore faudra-t-il qu'ils élargissent leur vocabulaire !