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Elanco & Proplan

31 octobre 2018

Les husky ont dans les yeux le bleu de leur chromosome 18

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Le support génétique du bleu des yeux des husky, dominant, vient d'être décrit grâce à l'analyse des résultats de 6 000 génotypages canins réalisés aux USA par une start-up qui offre ce service aux particuliers (cliché : Jamie Leszczak).
Le support génétique du bleu des yeux des husky, dominant, vient d'être décrit grâce à l'analyse des résultats de 6 000 génotypages canins réalisés aux USA par une start-up qui offre ce service aux particuliers (cliché : Jamie Leszczak).
 

Quel est le support génétique des yeux bleus des husky ? C'est grâce à la possibilité commerciale de faire séquencer le génome de son animal de compagnie (essentiellement aux USA) que des généticiens peuvent à présent apporter la réponse : un long fragment du chromosome 18 du chien s'est dupliqué dans cette race, permettant au gène récessif de s'y étaler et donc de s'exprimer chez – presque – tous les sujets de cette race Au-delà de la découverte génétique (ce troisième locus pour les yeux bleus des chiens à robe non merle est nouveau pour la génétique), c'est la méthode de travail qui est innovante – permise par l'accès au grand public des biotechnologies. Jusque-là, le support génétique des yeux bleus des husky n'était pas connu ; les éleveurs de cette race estimant que le/les gène(s) concernés étaient dominants, avec une composante d'hétérochromie (yeux vairon). En cynotechnie, il est également considéré que le support génétique des yeux bleus dans d'autres races (border collie, welsh corgi Pembroke, et bobtail) est, lui, récessif.

Start-up et puce à ADN

Tous les auteurs de la publication sont en effet des employés de la société Embark Veterinary Inc., start-up basée à Boston (USA) et offrant aux particuliers la possibilité de cribler l'entièreté de la séquence du génome de leur animal de compagnie et d'y détecter d'éventuelles anomalies génétiques (214 661 marqueurs sont évalués, dont 165 d'anomalies canines), mais aussi, pour les croisés, de retrouver leur fond génétique (250 races et des gènes de dingo, coyote, loup sont également évalués). Le tout à partir d'un écouvillon de la cavité buccale et pour un peu moins de 200 $ (175 €). L'entreprise propose une collaboration aux vétérinaires, qui reçoivent alors si le propriétaire en fournit l'accord, un exemplaire spécifique du résultat d'analyses listant le statut de l'animal pour chacune des anomalies génétiques testées (statut ‘non à risque', ‘à risque' ou ‘porteur').

Etude d'association pangénomique

Les propriétaires qui s'inscrivaient sur le site d'Embark pour recevoir un kit de prélèvement se voyaient proposer de participer à l'enquête. Ils devaient alors remplir un questionnaire en ligne et fournir des clichés de leur animal – en particulier des yeux. Entre le 7 février et le 23 novembre 2017, les données complètes de 3 248 chiens étaient disponibles, à 79 % croisés. Parmi eux, 156 chiens (73 propriétaires) avaient les yeux bleu clair, et 3 024 avaient les yeux bruns. A partir des résultats du criblage sur la puce à ADN, les auteurs ont donc analysé les données pour ces couleurs (étude d'association pangénomique, ou GWAS selon l'acronyme anglais). Les associations n'étaient examinées que si leur probabilité d'occurrence était significative (p<0,00000005). Ils ont aussi croisé ces données avec les séquences intégrales du génome de 17 chiens présentes dans les bases de données en libre accès (dont 6 husky).

Chromosomes 10 et 18

Au bilan, les auteurs identifient deux loci associés aux yeux bleus :

  • le premier, déjà connu, est localisé sur le chromosome 10 des chiens et est associé à la robe merle et l'association avec le phénotype yeux bleu clair (ou vairon) est fortement significative : p= 7,5 10-49 ;
  • le second est nouveau et semble plus spécifiquement présent chez les husky ; localisé sur le chromosome 18, son niveau de signification statistique pour l'association aux yeux bleu clair est encore plus élevé : p=1,3 10-68. Cet allèle est présent chez 100 % des 22 husky parmi les 3 000 chiens “génotypés”, et chez 78 % des autres chiens qui avaient à la fois les yeux bleus et la robe non merle (32 % homozygotes et 68 % hétérozygotes).

Pas chez les malamutes ni les samoyèdes

Pour les amateurs de génétique, les auteurs ont poussé leur exploration jusqu'à la structure de la séquence en question : chez les husky, une région intergénique (intron) de grande taille (un peu moins de 45 000 paires de bases) s'est trouvée dupliquée et aboutée à contresens dans le chromosome 18. Avec une petite insertion entre ces deux brins, cela fournit une séquence linéaire de 98 600 paires de bases, à proximité immédiate (dans son premier intron, en fait) d'une zone codante nommée ALX4, jusqu'ici impliquée dans le développement des os du crâne et du follicule pileux. Ils ont aussi recherché sa trace chez des races jugées apparentées aux husky, mais ne l'ont pas trouvée chez les laika de Yakoutie, malamutes de l'Alaska, samoyèdes (ni chez les bergers allemands). Sur les 6 génomes de husky disponibles dans les bases de données, un seul ne présente pas cette particularité. Elle est aussi présente chez 75 % des 81 chiens croisés qui avaient les yeux bleus (les autres s'expliquant par un locus associé à la robe merle), alors qu'elle est rare chez les 2 661 chiens à yeux bruns et robe non merle (n=46). Ce qui suggère que cette séquence est dominante. Enfin, les auteurs ont à nouveau recherché la zone dupliquée chez une autre population de 2 890 chiens : ils n'identifient sa présence que chez 67 sujets, dont 41 homozygotes ; pour 46 de ces sujets pour lesquels la couleur des yeux était renseignée, ils étaient tous soit bleu clair, soit vairon. Et tous les homozygotes et 17 des hétérozygotes étaient des husky. Les autres hétérozygotes étaient des Alaskan klee kai (n=2, race dérivée des husky), des bergers d'Australie (n=5) et un bouvier australien.

Ainsi, au bilan, les auteurs ont validé de trois méthodes différentes la forte association entre la nouvelle séquence identifiée dans le chromosome 18 et le phénotype d'yeux bleu clair ou vairon.