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Elanco & Proplan

25 juin 2024

Objectif : neutralité carbone en 2050. Comment le secteur de la santé humaine a entamé sa décarbonation

par Caroline Bégule-Convert

Temps de lecture  7 min

Projection des émissions 2050 après transformation, incluant la prévention, la promotion de la santé et le juste soin. Le scénario 3 prévoit une diminution de 60 % de l'intensité carbone des médicaments et des dispositifs médicaux. Source : The Shift Project. FE : facteurs d'émission ; PPJS : prévention, promotion de la santé et juste soin ; MtCO2e : millions de tonnes équivalent CO2.
Projection des émissions 2050 après transformation, incluant la prévention, la promotion de la santé et le juste soin. Le scénario 3 prévoit une diminution de 60 % de l'intensité carbone des médicaments et des dispositifs médicaux. Source : The Shift Project. FE : facteurs d'émission ; PPJS : prévention, promotion de la santé et juste soin ; MtCO2e : millions de tonnes équivalent CO2.
 

Le dérèglement climatique devrait profondément perturber notre système de santé. D'une part, il va falloir réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et trouver des substituts aux ressources fossiles. D'autre part, il faudra gérer les conséquences de la dégradation des écosystèmes et des crises climatiques sur la santé des populations et les infrastructures de soin : propagation de maladies, augmentation des températures, ou encore aggravation des inondations et des sécheresses.

En 2023, les émissions de GES du secteur de la santé humaine en France ont représenté grossièrement 49 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e), soit plus de 8 % de l'empreinte carbone totale de la France.

L'objectif de la France est d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Ainsi, tous les secteurs économiques français sont en train de chiffrer cette baisse dans leur activité. Pour le secteur particulier de la santé humaine, cela correspond à une diminution de 80 % des émissions de GES d'ici 2050, pour passer de 49,1 MtCO2e à 9,8 MtCO2e, soit une diminution d'à minima 5 % par an jusqu'en 2050. Cette transformation permettrait de rester sous les +2°C (les Accord de Paris prévoient +1,5°C).

Ce Fil analyse ce qui est actuellement réalisé dans le domaine de la santé humaine en France afin d'évaluer ce qui pourrait être appliqué sur notre secteur de la santé animale.

Quelles mesures phares pour quels impacts

Dans une première étape, une série de mesures est proposée, touchant 7 secteurs clés (voir figure en illustration principale).

1. Alimentation.

Objectif : -48 % des émissions des achats alimentaires, soit -2,8 MtCO2e. Comment :

  • Réduire le gaspillage alimentaire en améliorant la qualité gustative et diététique des repas dans les hôpitaux/cliniques,
  • Systématiser l'offre de repas végétariens en approvisionnement local et de saison. Substituer une partie des protéines animales par des protéines végétales (notamment dans le cas du bœuf),
  • Réduire la quantité d'emballages et l'omniprésence du plastique dans la restauration collective de la santé humaine.

2. Bâtiment.

Objectif : -85 % des émissions associées à la consommation d'énergies comme le gaz, le fuel ou l'électricité, soit -4,6 MtCO2e. Comment :

  • Massifier la rénovation thermique globale et performante des bâtiments hospitaliers et médico-sociaux,
  • Systématiser le passage des systèmes de chauffage et/ou de production d'eau chaude au gaz et au fioul à des sources d'énergie bas-carbone,
  • Favoriser la bio-climatisation des bâtiments et l'usage de matériaux biosourcés dans les constructions neuves,
  • Organiser et promouvoir la sobriété énergétique des usages. Recruter, former ou faire appel aux compétences d'un référent énergie,
  • Former les professionnels de santé afin de réduire les usages/consommations.

3. Déplacements.

Objectif : -94 % en tenant compte de l'évolution des véhicules, et particulièrement de l'électrification, soit -6,5 MtCO2eq. Comment :

  • Co-construire, rédiger et déployer un plan de mobilité de l'établissement ou du groupe sanitaire ou médico-social,
  • Faire la promotion des mobilités actives (vélo et marche à pied),
  • Encourager l'utilisation des transports en commun,
  • Inciter au covoiturage (garantie du retour à domicile en cas de circonstance exceptionnelle, mise en place d'un service d'autopartage, etc.),
  • Faciliter le recours au télétravail pour le personnel administratif et les chercheurs,
  • Remplacer les véhicules thermiques (ambulances, véhicules sanitaires légers, etc.) par des véhicules électriques en priorisant des véhicules d'occasion lorsque possible,
  • Limiter les distances parcourues pour les formations et conférences : développer le e-learning et les colloques de proximité accessibles en train,
  • Développer la télémédecine pour les consultations pouvant être traitées à distance,
  • Favoriser, lorsque les conditions médicales le permettent, le regroupement des patients lors des transports sanitaires.

4. Gaz médicaux.

Objectif : -75 % des émissions des achats de gaz médicaux, soit -0,4 MtCO2e. Comment :

  • Interdire les gaz anesthésiants à fort effet de serre,
  • Systématiser l'utilisation d'inhalateurs à faible impact environnemental (par exemple poudres sèches).

5. Déchets.

Objectif : -14 % des émissions des déchets seulement, mais comporte évidemment d'autres bénéfices pour l'environnement, soit -0,07 MtCO2e. Comment :

  • Soutenir le développement de la production en France et l'usage de matériels / dispositifs médicaux réutilisables,
  • Développer les filières de recyclage des dispositifs à usage unique,
  • Réduire la proportion de Déchets d'activité de soin à risque infectieux (DASRI),
  • Faire appliquer et contrôler l'obligation de composter ou valoriser ses biodéchets.

6. Médicaments.

Objectif : -63 % des émissions des achats de médicaments, soit -9,6 MtCO2e. Comment :

  • Conditionner la délivrance ou le renouvellement de l'Autorisation de mise sur le marché (AMM) à la publication du contenu carbone du médicament,
  • Mettre en place une politique d'achats éco-responsables (pour tous les équipements et services) et rendre obligatoire et déterminante l'empreinte carbone par produit dans les appels d'offres,
  • Relocaliser partiellement certaines molécules essentielles en Europe, accompagné d'une décarbonation profonde des processus de fabrication et de distribution,
  • Diminuer le recours aux médicaments et réduire la quantité de Médicaments non utilisés (MNU).

7. Dispositifs médicaux.

Objectif : -67 % des émissions des achats de dispositifs médicaux, soit -7,2 MtCO2e. Comment :

  • Conditionner la délivrance ou le renouvellement du marquage « CE » à la publication du contenu carbone du dispositif médical. L'industrie devra mener une décarbonation profonde des processus de fabrication et de distribution,
  • Mettre en place une politique d'achats éco-responsables (pour tous les équipements et services) et rendre obligatoire et déterminante l'empreinte carbone par produit dans les appels d'offres,
  • Impliquer des professionnels et sociétés savantes dans l'adaptation des pratiques moins consommatrices d'équipements et matériels médicaux. Réfléchir autour de la pertinence de l'amélioration de la qualité, la sécurité et le coût financier versus le coût carbone,
  • Diminuer le recours aux dispositifs médicaux et encourager la réutilisation de ces dispositifs lorsque possible. Remettre en question l'utilisation de l'usage unique dans toutes les spécialités par les professionnels en lien avec leur société savante.

Allier décarbonation avec prévention, promotion de la santé et juste soin (PPJS)

Après application de ces mesures, l'empreinte du système de santé en 2050 s'évalue encore à plus de 35,7 MtCO2e sans réduction de l'intensité carbone des industries des médicaments et des dispositifs médicaux, et à 19 MtCO2e si les industries parviennent à diminuer leur intensité carbone de 60 %, ainsi que les volumes des médicaments et des dispositifs médicaux de respectivement 10 % et 20 %.

Le Plan de transformation de l'économie française (PTEF) prévoit alors que la baisse supplémentaire pour atteindre l'objectif d'une réduction de 80 % des émissions soit portée par les actions liées à la prévention, à la promotion de la santé et au juste soin (PPJS). Ces actions agissent indirectement sur l'ensemble des postes à travers une baisse de la demande de soin. C'est à ce moment qu'interviennent les actions de transformation du système de santé, tant au niveau organisationnel, social que clinique. Par le biais de la PPJS, il est possible d'agir sur la santé des individus avant le besoin de soins. En matière de prévention, il est envisagé, par exemple, d'accompagner fortement la baisse des addictions, d'accentuer le (télé)suivi des malades polypathologiques ou chroniques afin de participer aux détections précoces et diminuer les hospitalisations inutiles, d'inciter au changement de l'offre alimentaire et de la mobilité, de proposer un modèle incitatif de prescription au plus près du besoin, etc. On passerait donc d'un système curatif (« cure » en anglais) à préventif (« care »). En outre, ces actions peuvent être dans le même temps bénéfiques à la santé et à l'environnement : c'est ce qui est décrit par les théories One Health-Une seule santé !

Tout le travail de chiffrage n'a pas encore été fait dans le domaine de la santé animale, ce qui est à espérer dans un avenir proche. Certaines mesures citées précédemment sont toutefois applicables dès à présent dans une clinique vétérinaire, comme favoriser une alimentation locale via certains clients, utiliser des sources d'énergie bas-carbone, co-construire en équipe le plan de mobilité le plus adapté à la clinique, développer la télémédecine, vérifier le système de captage et d'évacuation des gaz anesthésiques, faire appel à l'entreprise Eco-Be pour recycler et valoriser les déchets médicaux non dangereux, mettre en place une politique d'achats responsables.

À chacun de choisir de lancer la transformation dans sa structure !