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28 juillet 2023

Réseaux de cliniques : le Conseil d'État valide les radiations prononcées par l'Ordre

par Agnès Faessel

Temps de lecture  11 min

Le Conseil d'État a enfin rendu ses décisions concernant les premières radiations administratives de cliniques de réseaux. Il suit en partie le raisonnement de l'Ordre des vétérinaires, validant ainsi le bien-fondé de ces radiations (cliché Wikimedia Commons).
Le Conseil d'État a enfin rendu ses décisions concernant les premières radiations administratives de cliniques de réseaux. Il suit en partie le raisonnement de l'Ordre des vétérinaires, validant ainsi le bien-fondé de ces radiations (cliché Wikimedia Commons).
 

10 juillet 2023. Cette date est importante, elle marque les premières décisions du Conseil d'État relatives aux radiations administratives prononcées à l'encontre de nombreux établissements vétérinaires rachetés par des groupes ou réseaux.

Après plus de 3 ans de procédures, et sur seulement 4 premières affaires, le Conseil d'État a globalement suivi les conclusions du rapporteur public, favorable à confirmer ces radiations (voir LeFil du 24 mai 2023). Celles-ci concernent Oncovet en région Lilloise (IVC Evidensia, décision n°452448), le CHV NordVet en région Lilloise et la clinique vétérinaire Saint-Roch à La rochelle (Anicura, décisions n°442911 et 442925) et Univetis (cliniques du réseau Mon Véto, décision n°455961). Une cinquième affaire relative aux associés du groupe Mon Véto est également traitée (décision n°448133).

Pour mémoire, ces radiations ont été initialement prononcées par les Conseils régionaux de l'Ordre concernés, puis validées en appel par le Conseil national de l'Ordre (CNOV), avant que des recours ne soient déposés devant le Conseil d'État.

Toutefois, chaque affaire est différente, et les motifs de radiation sont pluriels. Si ceux relatifs à la gouvernance des établissements sont jugés recevables par le Conseil d'État, imposant donc de revoir leurs statuts, ceux relatifs à l'actionnariat ne le sont pas : l'exploitation de marques de petfood par les sociétés détenant Anicura (Mars) ou IVC-Evidensia (Nestlé) n'en fait pas des actionnaires interdits.

Pas de conflit d'intérêt

Ce point, dans les décisions du Conseil d'État, est fondamental. À ce jour, Anicura détient 18 établissements vétérinaires en France (28 sites), et le réseau IVC-Evidensia plus de 250. Une décision contraire du Conseil d'État n'aurait pas permis à ces groupes de conserver leurs parts dans ces cliniques ou CHV.

Sur le fond, la position du CNOV s'appuie sur le Code rural et son article L.241-17, lequel régit les nouvelles règles sur les sociétés d'exercice vétérinaires introduites par la loi Dadue du 16 juillet 2013. En application du droit européen, le capital de ces sociétés a effectivement été ouvert à des actionnaires non vétérinaires, dans la limite toutefois que plus de 50 % du capital et des droits de vote restent détenus par des vétérinaires en exercice. L'article L.241-17 introduit aussi des limites sur la nature des actionnaires extérieurs autorisés : afin d'éviter tout conflit d'intérêt, les fournisseurs de produits, de matériels ou de services aux vétérinaires, leurs clients (éleveurs, animaleries, organisations de producteurs…), mais aussi les industriels ayant une activité de transformation des produits animaux (comment beaucoup d'acteurs du secteur agro-alimentaire), ne peuvent pas entrer au capital des sociétés d'exercice vétérinaires.

Or, le réseau Anicura est indirectement détenu par le groupe Mars, dont des filiales (Mars Petcare, Royal Canin) fabriquent et commercialisent entre autres de nombreuses marques de petfood. Et la société mère qui détient IVC-Evidensia est elle-même détenue à environ 20 % par Nestlé, dont une filiale (Purina) est dans le même cas. Pour le CNOV, ces groupes représentent donc des actionnaires interdits, mais le Conseil d'État n'a pas adopté la même position.

En effet, ce dernier observe que les diverses filiales des groupes Mars et Nestlé opèrent de manière indépendante, et qu'en l'occurrence, Mars Pet Care/Royal Canin ou Purina ne détiennent pas de part dans Anicura ou IVC-Evidensia. En outre, ces groupes n'apportent que des services support aux vétérinaires de leurs cliniques (marketing, gestion, comptabilité, etc.), et non des services utilisés à l'occasion de l'exercice vétérinaire. Ils interviennent dans la négociation des prix auprès des fournisseurs mais, pour le réseau IVC-Evidensia, via le GIE Wivetix, détenu par les sociétés vétérinaires (et non par IVC-Evidensia).

Ce motif de radiation est donc rejeté par le Conseil d'État. Mais pas les autres…

Des systèmes de gouvernance non conformes

Concernant Oncovet, le CHV NordVet et la clinique Saint-Roch (elle-même détenue par le CHV NordVet), un autre motif de radiation, valide cette fois selon le Conseil d'État, tient au mode de gouvernance de ces établissements.

La base juridique est la même – l'article L.241-17 du code rural –, mais sur un autre aspect. En imposant que pour toute société d'exercice vétérinaire, plus de 50 % du capital et des droits de vote soient détenus par des vétérinaires en exercice au sein de la société, l'objectif est que ces vétérinaires conservent le contrôle de leur société (et ainsi leur indépendance professionnelle).

Dans les établissements concernés ici, la répartition du capital et des droits de vote est conforme. Mais les statuts et/ou pactes d'associés prévoient diverses dispositions que l'Ordre, et donc aussi le Conseil d'État, jugent de nature à faire perdre aux praticiens le contrôle effectif de leur société. Ces dispositions sont, par exemple, un engagement à accepter par vote en assemblée générale toute proposition d'affectation des bénéfices distribuables (dividendes), versés alors en quasi-totalité à l'investisseur externe. Il peut aussi s'agir de système de double majorité impliquant la nécessaire approbation de l'actionnaire minoritaire et empêchant ainsi les vétérinaires de délibérer seuls, ou encore de promesse de vente permettant aux actionnaires majoritaires de racheter les parts des vétérinaires, à tout moment et ainsi en cas de litige en particulier… Le conseil d'administration ou de surveillance, susceptible de prendre des décisions stratégiques pour l'établissement, est par ailleurs composé de 3 membres mais dont le choix d'1 seul revient exclusivement aux vétérinaires. Etc.

Ces dispositions sont considérées comme des dispositifs limitant les pouvoirs des associés majoritaires. Et même si elles ne sont pas illégales isolément, leur cumul amène à priver les vétérinaires en exercice du contrôle effectif de la société, selon l'analyse du Conseil d'État.

Prochaines étapes

Les radiations de ces 3 établissements sont donc valables sur ce motif, et désormais définitives. Et il est très probable que les décisions à venir sur les recours déposés pour des affaires similaires (les autres établissements des mêmes réseaux, et potentiellement d'autres) iront dans le même sens.

Partant de cette décision, les établissements recevront une notification de radiation, laquelle sera effective 8 jours après. Ils disposent ainsi d'un court délai pour se mettre en conformité, c'est-à-dire adopter des statuts conformes à la réglementation (dont l'esprit et les dispositions sont désormais clarifiés). À défaut, leur radiation devient effective, à moins bien sûr que des mesures aient été prises en amont (un changement de forme de société, ou de propriétaires par exemple).

La radiation vise la clinique ou le CHV, mais pas les praticiens vétérinaires qui y travaillent. Ces derniers ne sont donc pas radiés du tableau de l'Ordre ; en tout cas pas en application de cette décision. En revanche, ils ne pourront évidemment pas exercer au sein d'une société radiée.

Les vétérinaires majoritaires doivent être des praticiens…

La première décision touchant le réseau Mon Véto (n°455961) concerne une affaire différente sur le fond, même si la base juridique est encore la même. Le motif de radiation tient ici à la qualité des vétérinaires majoritaires détenant les cabinets ou cliniques Mon Véto rattachées à la société Univetis (au nombre de 6).

Le Code rural prévoit en effet que plus de la majorité du capital et des droits de vote d'une société vétérinaire soit détenue « directement, ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés inscrites auprès de l'Ordre, par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société ». En clair, seuls des vétérinaires praticiens forment cette majorité dirigeante.

Dans le cas d'Univetis, l'Ordre des vétérinaires a constaté que les trois vétérinaires détenant (indirectement) plus de 50 % du capital social ne sont pas praticiens au sein de la société. D'où la radiation administrative prononcée, et validée par le Conseil d'État.

… et ces praticiens doivent exercer dans chaque clinique

En outre, ces trois vétérinaires font par ailleurs l'objet de sanctions disciplinaires (interdiction temporaire d'exercice), à nouveau validées par le Conseil d'État (décision n°448133). Le motif tient cette fois à la délégation permanente de la gestion des DPE* de 2 autres de leurs sociétés (Mon Véto et Mon Véto IDF Est) à des vétérinaires salariés ou collaborateurs libéraux, ce qui n'est pas autorisé.

Dans son analyse, le Conseil d'État précise qu'une société vétérinaire a pour objet de permettre à ses associés d'exercer la médecine vétérinaire en commun. Même si la réglementation n'impose pas un nombre maximal d'établissements (DPE) par société vétérinaire, ses dispositions imposent finalement que les associés y pratiquent la médecine vétérinaire : au moins un des associés doit être en exercice dans chacun des DPE (à temps partiel au minimum). En pratique, le modèle des cliniques Mon Véto, dont la gestion est confiée aux vétérinaires qui y exercent, sans être des associés, n'est donc pas conforme.

Dans cette affaire, une sanction disciplinaire avait également été prononcée envers les sociétés (Mon Véto et Mon Véto IDF Est), mais elle a été annulée en Conseil d'État (pour vice de procédure).

Le réseau Mon Véto dit compter au total près de 200 cliniques (ou cabinets), dont 3 en Belgique. Celles-ci sont détenues par plusieurs sociétés vétérinaires comme anciennement Univetis, Mon Véto ou Mon Véto IDF Est, elles-mêmes détenues par une société mère (Finexvet).

Des règles et positions conformes au Droit européen

Dans son évaluation, le Conseil d'État a également examiné la conformité de la réglementation française et son interprétation au Droit européen, et notamment la directive « Services », à l'origine de l'assouplissement des règles sur les sociétés d'exercice vétérinaires tel que traduit dans le Code rural. Et il a validé cette conformité.

En effet, la détention majoritaire du capital et des droits de vote d'une société vétérinaire par les vétérinaires qui y exercent, telle qu'imposée en France, a déjà été jugée comme compatible avec la réglementation européenne par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Car il revient aux États membres de choisir d'adopter sur leur territoire un niveau de protection de la santé publique plus élevé qu'ailleurs, dès lors que les mesures pour y parvenir sont nécessaires et ne sont pas discriminatoires ou disproportionnées, ce qui a été jugé adéquat en France.

Le Conseil d'État considère également que les dispositions françaises ont pour objet de réduire les risques que les stratégies économiques mises en place dans les cliniques vétérinaires soient dictées avant tout par des objectifs de rentabilité, au détriment des objectifs de protection de la santé publique et la santé animale, et du respect des obligations déontologiques de la profession vétérinaire.

Dans un communiqué, IVC-Evidensia regrette tout de même que le Conseil d'État n'ait pas renvoyé l'affaire devant la CJUE. Il annonce toutefois avoir pris en amont, avec la société Oncovet, « les mesures nécessaires pour que la clinique puisse continuer de fonctionner normalement ». Il explique travailler à la mise en place d'une organisation juridique alternative, finalisée sur la base de la décision du Conseil d'État. Son président, Patrick Govart, souhaite la mise en place d'un groupe de travail, en concertation avec le CNOV et les autres parties prenantes de la profession, afin d'aboutir à des statuts satisfaisants pour tous. Selon lui, il serait contreproductif en effet, de déposer de nouveaux statuts qui se révéleraient encore non conformes.

Une clarification bienvenue de la réglementation

Le syndicat des groupements d'établissements vétérinaires (Syngev), qui regroupe historiquement Anicura, Argos et IVC-Evidensia, puis Mon Véto, et tout récemment Qovetia, VetPartners et le groupe dirigé par Corinne Armand, « salue une décision qui vient clore une période d'incertitude […] et ouvre la voie au développement pérenne des réseaux ». Le syndicat regrette que les radiations soient confirmées et fondées sur le seul motif du mode de gouvernance des cliniques. Il signale cependant l'opportunité offerte de travailler conjointement avec le CNOV sur l'élaboration de nouvelles règles définissant la gouvernance des sociétés appartenant à un groupe.

De son côté, le SSEVIF (syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France) se réjouit de cette décision « qui fera jurisprudence, et qui conforte ses convictions sur l'importance de l'indépendance des vétérinaires pour répondre aux objectifs de santé publique et de santé animale ».

Dans un communiqué, L'Ordre des vétérinaires souligne que l'objet de ses démarches, engagées depuis plus de 5 ans, « n'est pas de fermer des sociétés d'exercice vétérinaire, ni des établissements de soins vétérinaires, mais bien que l'ensemble des vétérinaires […] respectent les lois et les règlements applicables en France à la profession réglementée de vétérinaire ».

Dans sa réaction, le syndicat des vétérinaires libéraux (SNVEL) se réjouit de constater que les décisions du Conseil d'État pointent que le vétérinaire praticien doit être « au cœur du système », au sens qu'il est affirmé qu'il doit avoir le contrôle effectif de la société vétérinaire. Cet arbitrage tant attendu étant rendu, le SNVEL se dit prêt à participer la phase de construction qui s'ouvre, afin de définir des modèles qui « rendent [aux praticiens] le pouvoir décisionnaire dans les sociétés accompagnées par ces investisseurs tout en préservant l'attractivité du secteur pour ces derniers ». Un vrai défi !

 

* DPE : domicile professionnel d'exercice.