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Elanco & Proplan

29 avril 2025

Des chats tuberculeux à M. bovis transmettent l'infection à leur entourage ; les aliments BARF suspectés

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Granulomes multiples visibles à l'autopsie en surface (A) et à la section (B) du poumon de la chatte adulte ayant donné naissance au cas index d'un foyer de tuberculose féline aux Pays-Bas (Commandeur et coll., 2025).
Granulomes multiples visibles à l'autopsie en surface (A) et à la section (B) du poumon de la chatte adulte ayant donné naissance au cas index d'un foyer de tuberculose féline aux Pays-Bas (Commandeur et coll., 2025).
 

Le régime alimentaire des animaux de compagnie à base de viandes crues achetées dans des circuits dédiés (BARF) peut avoir des conséquences néfastes pour la santé publique. Outre-Manche, cinq personnes (dont un vétérinaire) avaient été contaminées par Mycobacterium bovis, à l'occasion d'une anadémie ayant infecté 120 chats de compagnie en 2018. L'aliment incriminé était de la viande de cervidé, passée dans les barquettes sans inspection vétérinaire. Les chats tuberculeux avaient contaminé les humains. Deux cas félins de tuberculose à M. bovis, dont un ayant contaminé “ses” humains, viennent d'être décrits pour les Pays-Bas. Et l'origine la plus probable de leur infection est l'alimentation crue… Il s'agit des premiers cas décrits d'infection féline à M. bovis dans un pays indemne de tuberculose bovine.

Chatte et portée tuberculeuses

Le premier cas néerlandais est celui d'un chaton Ragdoll, euthanasié à la suite de troubles respiratoires sévères, en décembre 2022. Il était le 3e d'une portée de 4, dont deux autres étaient décédés au préalable, l'un d'entre eux avec des troubles respiratoires. Ce chaton a été autopsié à la faculté vétérinaire d'Utrecht, où une pneumonie granulomateuse a fait suspecter une mycobactériose. Le laboratoire de référence a cultivé M. bovis à partir des prélèvements, et confirmé l'identification par méthodes moléculaires. Quelques jours après l'obtention du diagnostic, la mère de la portée a elle aussi été euthanasiée, « en raison de troubles respiratoires persistants depuis août 2022 » ; l'autopsie a identifié pneumonie et iléite granulomateuses et une hypertrophie marquée du ganglion iléocœcal, à contenu fibro-caséeux. Puis, en janvier 2023, un autre chat de la même famille, de 13 ans, a lui-aussi été euthanasié pour troubles respiratoires, et autopsié, avec lui aussi une pneumonie granulomateuse.

Cinq mois d'antibiothérapie pour les survivants

La présence de M. bovis dans les lésions des deux chats adultes euthanasiés a été confirmée en culture et en biologie moléculaire. Et des écouvillons bronchiques du 2e chat étaient aussi positifs, laissant suspecter une excrétion par voie aérienne. Il ne restait plus comme animaux de compagnie au domicile de cette famille qu'un autre chat adulte, un chien et le 4e chat de la portée, entretemps devenu adulte. Aucun ne présentait de signes cliniques, mais du fait du risque d'exposition, une radiographie thoracique a été réalisée sur les trois animaux en février 2023. Des images anormales ayant été identifiées chez le chat adulte (pas celui de la portée), il a été euthanasié. À nouveau, la présence de M. bovis a été détectée dans les lésions de pneumonie et d'iléite granulomateuses, mais aussi dans les ganglions de l'animal. Le chien et le chat restants ont été traités à titre prophylactique pendant cinq mois avec une association d'azithromycine, rifampicine et marbofloxacine. Aucun n'a présenté d'images radiologiques anormales du thorax après la fin du traitement.

Quatre humains infectés

Et du fait du risque zoonotique, les six humains ayant eu des contacts répétés avec les sujets infectés ont fait l'objet d'abord d'une tuberculination (quatre positifs) et ensuite d'un test à l'interféron gamma (trois positifs). Ces quatre personnes, bien portantes, ont eu une radio du thorax. La seule personne qui était négative au test à l'interféron gamma était celle qui a présenté des anomalies radiographiques. Une biopsie pulmonaire a été réalisée, contenant une faible quantité d'ADN de M. bovis, mais suffisante pour y détecter une mutation ponctuelle présente dans le génome des souches des chats de ce foyer (mais pas chez celle de l'autre foyer, voir ci-dessous). Ce qui rend très probable la contamination des humains par les chats. Les trois personnes positives ont reçu une antibiothérapie de 2 mois, celle présentant des lésions un traitement de 6 mois, avec suivi radiographique semestriel sur deux ans.

Un autre cas, au même moment

Toujours en février 2023, un chat de 7 mois (Bengal) a été présenté aux urgences d'une structure de référés avec des troubles respiratoires aigus, faisant suite à quelques semaines d'évolution. Le scanner thoracique a détecté « un pneumothorax avec consolidation du tissu pulmonaire et une large cavité remplie de gaz dans le poumon caudal gauche ». L'animal a été euthanasié et envoyé à la faculté vétérinaire pour autopsie, celle-ci identifiant « une pneumonie granulomateuse et un granulome caverneux dans le lobe caudal gauche ». Là encore, la présence de M. bovis a été confirmée en culture et par méthodes moléculaires. La famille de cet animal avait un autre chat, et les auteurs ont retracé l'élevage, les parents et les autres membres de la portée du cas. Tous ont été soumis à une radio thoracique en mars 2023 et aucune anomalie n'a été détectée chez aucun d'entre eux. Ils ont été considérés comme indemnes. Les deux humains ayant été exposés à ce cas ont fait l'objet d'une tuberculination, négative.

Source alimentaire ?

Du fait de la coïncidence temporelle entre ces cas, les auteurs ont suspecté une origine commune – possiblement alimentaire du fait des lésions intestinales observées dans le premier foyer. Les deux foyers « fournissaient à leurs animaux de compagnie (adultes) de la nourriture à base de viande crue achetée dans le commerce. Il s'agissait généralement des saucisses de 300 à 500 grammes contenant un mélange de viande crue et de divers organes ». Il restait de tels aliments chez les familles, et dans l'élevage d'origine du second cas, mais de lots différents de ceux consommés préalablement par les chats. Les auteurs ont tout de même tenté de détecter M. bovis dans ces produits BARF, en vain. Le séquençage intégral du génome des différentes souches de M. bovis a été comparé. Sans surprise, il montre que tous les cas du premier foyer sont liés à des souches similaires au plan génétique. En revanche, le cas du second foyer est différent (500 nucléotides), « indiquant une infection indépendante ». La piste alimentaire reste malgré tout la plus probable car :

  • « la production de ces aliments pour animaux crus comprend, entre autres, des organes et des tissus de bovins et de cervidés de pays indemnes et non indemnes de tuberculose bovine », y compris des poumons ;
  • il est possible, du fait des tissus/organes et de leur origine, que ces aliments BARF aient contenu M. bovis et que deux introductions indépendantes aient eu lieu ;
  • tous les chats de ces deux familles vivaient en intérieur, sans contact avec des bovins, ni des animaux sauvages (pas même des rongeurs).

Pour les auteurs, ces cas illustrent la nécessité pour les vétérinaires et les médecins de faire preuve de vigilance en matière de santé publique. Ils soulignent aussi l'importance, même en pays indemne de tuberculose bovine, d'inclure la tuberculose dans le diagnostic différentiel d'affections respiratoires des animaux de compagnie.