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Elanco & Proplan

7 février 2025

« Inflamm'aging », comportement pathologique et douleurs chroniques liés à l'âge

par Pascale Pibot

Temps de lecture  5 min

Le comportement pathologique doit être pris en compte en cas de douleur chez un animal âgé (cliché Pixabay)
Le comportement pathologique doit être pris en compte en cas de douleur chez un animal âgé (cliché Pixabay)
 

Le concept de fragilité commence tout juste à être pris en compte en médecine vétérinaire. En médecine humaine, la fragilité est étudiée chez les patients âgés atteints de maladies chroniques et elle est évaluée à l'aide d'une échelle validée. Le déclin des réserves physiologiques de l'organisme entraîne en effet une vulnérabilité accrue aux facteurs de stress et se révèle directement corrélé avec l'espérance de vie.

Une revue bibliographique réalisée par des chercheurs italiens met en évidence le rôle majeur des inflammations chroniques dans les évolutions pathologiques constatées chez les chiens et chats âgés.

Vieillissement et inflammation

Une grande partie des effets du vieillissement s'explique par l'installation progressive d'un déséquilibre dû à la production accrue de cytokines pro-inflammatoires (IL-6) et à la baisse des cytokines anti-inflammatoires (IL-10). Ce déséquilibre favorise un état inflammatoire qui expose les individus âgés à une morbidité et une mortalité accrues ; des mécanismes inflammatoires sont en effet impliqués dans la pathogenèse de nombreuses maladies dégénératives.

La réponse inflammatoire doit normalement diminuer lorsque les facteurs pro-inflammatoires (infection, lésions tissulaires…) disparaissent ; la réaction évolue alors vers un état d'équilibre appelé « inflammation résolutive ». Mais si l'inflammation devient chronique, ses effets négatifs se font sentir sur le métabolisme, l'immunité, la densité osseuse, la tolérance à l'exercice, le système vasculaire, les fonctions cognitives… Ce phénomène bien connu chez l'homme a été baptisé « inflamm'aging » par les Anglosaxons ; il affecte probablement aussi la santé des animaux âgés.

En gériatrie humaine, il est bien montré que l'exercice peut aider à lutter contre les conséquences délétères de l'inflammation liée à l'âge. Chez les patients Alzheimer, il a par exemple été observé que l'activité physique stimule la neurogenèse et atténue la perte de masse cérébrale. Il est probable que chez les animaux vieillissants, l'enrichissement de l'environnement et l'activité physique aident également à préserver la fonction cognitive.

Inflammation et « comportement pathologique »

Plusieurs études font supposer l'existence d'un lien de causalité entre l'inflammation chronique et l'altération de la santé mentale, notamment lors de dépression. Des facteurs pro-inflammatoires tels que les lipopolysaccharides (LPS) des endotoxines bactériennes sont par exemple capables d'induire des signes de dépression chez les rongeurs. Des modifications pathologiques du comportement figurent aussi parmi les premiers signes manifestés par les chats présentant une cystite interstitielle.

Des stimuli pro-inflammatoires augmentent l'activité de l'enzyme qui métabolise le tryptophane (indoleamine 2,3-dioxygénase), entraînant une diminution de la disponibilité du tryptophane et une baisse de la synthèse de sérotonine (5-hydroxytryptamine ou 5-HT). Or, la carence en 5-HT est identifiée comme une des causes de dépression depuis les années 1960.

Chez l'homme, les cytokines pro-inflammatoires, telles que l'interleukine-1 bêta (IL-1b), l'IL-6 ou le TNF-a, peuvent induire des troubles dépressifs majeurs même sans antécédents de troubles mentaux. Les cytokines déclenchent le comportement pathologique (CP) via un mécanisme endocrinien ou par transmission neuronale directe.

Les récepteurs aux cytokines pro-inflammatoires sont présents dans différents types de cellules cérébrales et les manifestations du CP dépendent de l'activation de zones particulières du cerveau. Chez les animaux, le CP peut se traduire par une grande variété de signes comportementaux : somnolence, anorexie/dysorexie, diminution de l'activité de toilettage, perte d'intérêt pour les activités sociales, altération de la cognition… Le caractère de l'animal ainsi que son environnement ont une influence sur le fait qu'il présentera ou non un comportement problématique, voire qu'il développera des signes cliniques de maladie.

Observé dans de nombreuses espèces, dont le chien et le chat, le CP serait une réponse adaptative à l'inflammation, destinée à pousser l'individu à économiser son énergie pour mieux récupérer. Toutefois, si la réponse comportementale est exagérée par rapport aux facteurs déclencheurs, cette réponse peut au contraire accélérer le développement de maladies inflammatoires chroniques. Comme lors de stress chronique, l'activation excessive de l'axe hypothalamus-hypophyse-surrénales peut progressivement perturber les systèmes de régulation de l'homéostasie et fragiliser l'individu.

Inflammation et douleur

Les cytokines pro-inflammatoires (IL-1β, TNF-α) jouent un rôle majeur dans le déclenchement et l'entretien de la douleur en activant directement les neurones nociceptifs. En participant à la synthèse des prostaglandines, les cyclooxygénases de type 2 (COX-2) favorisent aussi l'apparition de la douleur : les prostaglandines stimulent les récepteurs à la douleur ou les sensibilisent à d'autres substances (telles que l'histamine, la 5-HT et la bradykinine) qui déclenchent l'envoi de signaux douloureux au cerveau.

La douleur est une expérience hautement subjective et les états émotionnels induits par la douleur peuvent donc varier. Les signes de douleur les plus fiables sont cependant ceux qui montrent une réduction des comportements normaux précédemment exprimés et le développement de comportements non manifestés auparavant.

La douleur provoque parfois des réactions défensives, par exemple lorsque l'animal tente d'éviter un contact physique parce qu'il craint d'avoir mal. L'association entre un stimulus et une douleur peut aussi le pousser à développer des réactions adaptatives ; c'est par exemple le cas lorsqu'un chat présentant une affection urinaire ou de l'arthrose se met à uriner hors du bac à litière parce qu'il a eu mal en urinant ou en enjambant les bords du bac.

Adopter une approche globale

L'approche clinique traditionnelle d'un trouble du comportement se base en général sur une stratégie d'exclusion : le clinicien cherche d'abord savoir si le comportement problématique est « purement comportemental » ou s'il peut s'expliquer par une affection sous-jacente.

Selon une approche plus moderne, le comportement est considéré comme l'une des méthodes utilisées par un individu pour maintenir un équilibre entre des facteurs internes, dont sa santé, et son environnement. L'équilibre comportemental et la santé physique sont donc les composants d'un système qui doit être pris en charge globalement. Comme en psychiatrie humaine, les vétérinaires sont aujourd'hui invités à faire une évaluation exhaustive de l'état de santé et du comportement de l'animal. En d'autres termes, le diagnostic et le traitement de l'animal seront améliorés si l'approche comportementale est intégrée aux autres disciplines médicales (neurologie, dermatologie, gastro-entérologie, etc.). Cette approche est particulièrement importante lorsqu'il s'agit de prendre soin d'individus âgés.