21 janvier 2025

Un précédent Fil a présenté le travail du médecin psychiatre Stephen Karpman pour décrire les relations parfois compliquées entre deux êtres humains, enfermés dans un permanent jeu de pouvoir (voir LeFil du 9 décembre 2024). Karpman a conceptualisé ces transactions déséquilibrées autour d'un triangle, baptisé triangle dramatique de Karpman. En effet, cette figure symbolise les 3 rôles d'acteurs que nous pouvons tous jouer : le Persécuteur, le Sauveteur ou la Victime. Ces postures sont totalement inconscientes et conduisent dans tous les cas à des tensions relationnelles fortes, des jeux psychologiques toujours destructeurs de la relation, et donc de la collaboration. Car dans le déroulé du jeu, nous allons, à un moment donné, changer de rôle. Cette évolution brutale et imprévue du scénario génère une incompréhension chez l'autre, une réponse qui va provoquer une escalade des propos belliqueux.

Le point de départ des « États du Moi »

Stephen Karpman est un disciple de l'analyse transactionnelle développée par Éric Berne. Cette analyse des transactions, c'est-à-dire des échanges entre 2 personnes, a permis de mettre en évidence 5 différents états de la personnalité. La capacité de chaque protagoniste à faire appel librement à ces différents aspects de sa personnalité est le terreau d'une relation saine et riche. Car dans cette liberté, cette autorisation réciproque, l'Intimité devient possible.

Chacun possède en lui 3 grandes facettes : le Parent, l'Adulte et l'Enfant. La facette Parent est sous divisée en deux, entre Parent Normatif et Parent Nourricier, et celle de l'Enfant se sépare en Enfant Libre et Enfant Adapté. En tenant compte de ces subdivisions, il existe donc 5 aspects différents de la personnalité, qu'Éric Berne a baptisé les 5 « États du Moi ».

À chaque État du Moi correspond un ensemble cohérent de pensées, de sentiments et de comportements, disponibles à tout moment pour communiquer avec les autres. Nous sommes capables de naviguer à travers ces 5 zones, ces 5 étages de notre personnalité.

Les 5 États du Moi

• Le Parent Normatif est le siège en nous des lois et des principes, le lieu où est établi le cadre. Cela correspond à l'origine aux règles de vie en famille posées par l'un des parents. Ce comportement peut se retrouver par exemple chez un chef d'entreprise qui impose les règles de fonctionnement.
• Le Parent Nourricier est la facette de notre personnalité qui nous pousse à prendre soin de l'Autre, à le consoler. Elle commence avec l'enfant que l'on réconforte, mais peut se retrouver bien au-delà, dans l'altruisme, l'écoute et le soutien à ses équipiers. Particulièrement intéressant pour accueillir et intégrer un nouveau collaborateur !
• L'Adulte correspond à l'Option de communication responsable, équilibrée, autorisant un véritable partage de l'information. Cet état permet aussi de prendre des décisions en phase avec la réalité du moment et de faire face à ses responsabilités. Un échange d'Adulte à Adulte est constructif, sans emprise de l'un sur l'autre : on peut se dire les choses.
• L'Enfant Libre est la partie de nous qui nous pousse à dire et faire ce dont nous avons envie, en toute liberté. Elle nous pousse à agir et penser comme lorsque nous étions enfant, sans se soucier des conventions, des codes sociaux et des règles en vigueur.
• L'Enfant Adapté nous pousse à respecter les consignes, à suivre les recommandations des autorités, à ne pas franchir la ligne de courtoisie dessinée au sol. Nous mobilisons cette facette plusieurs fois par jour en respectant les codes de la vie en société.

5 Options pour 5 clauses essentielles pour la relation dans la relation

L'enjeu pour une relation saine et équilibrée est de connaître en conscience dans quel étage du Moi nous nous trouvons à un instant donné, et d'accepter que son interlocuteur puisse se trouver dans l'État qu'il souhaite. Les 5 États du Moi sont autant d'Options pour appréhender une situation ou entrer en relation avec les autres. Lorsque les 5 Options sont possibles pour chacun des 2 interlocuteurs, alors la probabilité d'Intimité est forte.

Stephen Karpman a créé un outil facile à utiliser, une sorte de contrat type dans lequel il suffit de remplir les clauses correspondantes. Pour être valide, ce contrat doit être explicite, c'est-à-dire avoir été négocié clairement et oralement entre les partenaires, puis signé par eux en amont de la relation.

Ce type de contrat a toute sa place entre associés, voire entre dirigeant et salarié. Il comprend 5 clauses, chacune s'appuyant sur l'une des 5 Options.

Clause de respect

La clause de respect renvoie à l'Option Parent Normatif. Elle concerne les règles de vie incontournables, les comportements possibles et ceux impossibles car considérés comme irrespectueux de l'Autre. Certains points peuvent être déjà existants dans un pacte d'associés, mais cette clause ajoute un aspect centré sur la relation humaine.

Cette clause est une liste des règles intangibles à respecter dans la relation, par exemple : tenir les engagements pris, être fiable, ne pas s'ingérer dans les affaires personnelles de l'Autre, respecter l'entreprise, son image, ses salariés et ses clients. Elle pousse aussi à matérialiser certains interdits, comme partir brutalement ou menacer de démissionner. Cette clause pousse alors à ne pas pouvoir prononcer des phrases telles que : « Je suis libre de faire ce que je veux, et de prendre la décision que je souhaite sans te concerter ! »

Clause de protection        

La clause de protection fait écho à l'Option Parent Nourricier. Les signataires sont d'accord pour s'épargner inconfort et anxiété inutiles, en anticipant par exemple des situations stressantes. Chacun prend soin de son associé, en prenant en considération les besoins, les points sensibles de l'Autre.

Cela conduit à ne pas mettre de dates butoir trop proches, sources de stress pour l'Autre, à ne pas rendre un travail ne correspondant pas aux standards de qualité de l'Autre. Cela conduit alors à ne pas (ou plus) entendre des phrases comme : « Sois fort ! Je ne suis pas là pour gérer tes émotions et tes états d'âme. Nous ne sommes quand même pas obligés de nous occuper les uns des autres ! »

Clause de transparence

La troisième clause, de transparence, correspond à l'Option Adulte. Les partenaires sont d'accord pour parler ensemble des problèmes, de préférence le jour même. Tous les sujets peuvent être discutés sans a priori, condescendance ou colère, dans le but de trouver des solutions et de progresser.

La liste des sujets nécessitant une attention particulière est posée d'un commun accord : les nouveaux clients, les idées stratégiques, les nouveaux projets opérationnels. La clause pousse à se dire calmement les choses, bonnes ou mauvaises. Avec une telle clause, la phrase suivante ne pourrait pas être exprimée : « Je n'ai pas besoin de te parler de ce sujet, c'est moi qui gère le dossier et tu n'as qu'à attendre la conclusion. On n'est quand même pas obligés de tout se dire ! »

Clause de plaisir

Les associés ou partenaires sont d'accord pour participer au plaisir de l'Autre, comme les Enfants Libres qui jouent. La clause de plaisir est la base de la reconnaissance, du feedback positif, du partage de ce qui nous fait vibrer, qui fait sens pour chacun.

Chacun accepte de découvrir des facettes rafraîchissantes de sa personnalité, et de les laisser transparaître dans son comportement. Une fois signée, cette clause entraîne la fin des phrases comme : « On n'est pas là pour se faire plaisir, on est juste là pour bosser et gagner de l'argent. Donc il n'est pas nécessaire d'être des amis et de vouloir s'amuser ensemble. »

Clause de flexibilité

Enfin la clause de flexibilité correspond à l'Option Enfant Adapté. Les associés sont d'accord pour une capitulation spontanée dans un conflit, même s'ils sont persuadés, chacun, d'avoir raison. Cette clause pousse à développer l'écoute et l'humilité, et à calmer ses poussées égotiques qui conduisent à la rigidité des positions. La clause de flexibilité est la base du lâcher prise. Elle permet de ne plus échanger des phrases du style : « On n'a pas le même point de vue, tant pis. Chacun garde son idée, fait comme il le souhaite et puis c'est tout ! »

Nous avons tous, au travers de notre comportement, la possibilité de générer de la confiance dans la relation à l'Autre.