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5 juin 2024
Synchroniser son cerveau pour mieux collaborer : comment être sur la même longueur d'onde que ses collaborateurs
La mise au point de nouveaux outils d'imagerie autorise des progrès considérables en neurosciences. L'essor de nouvelles techniques d'investigation, comme l'IRM fonctionnelle (IRMf), la spectroscopie fonctionnelle dans le proche infra-rouge (fNIRS) couplées à la miniaturisation des capteurs et émetteurs, permet de nouvelles découvertes. Ces outils mettent en évidence les niveaux d'oxygène dans les flux sanguins cérébraux : le niveau est plus élevé dans les neurones actifs. Une autre technologie baptisée électroencéphalographie (EEG) livre des informations très précises sur les variations temporelles de l'activité du cerveau et sur le rythme des différents ondes cérébrales, même si elle moins précise sur leur localisation.
Au-delà de la première étape qui est la compréhension du fonctionnement individuel du cerveau humain, les recherches s'intéressent désormais aux données collectives et aux interactions entre les cerveaux de différents individus. Car l'homme est avant tout un animal grégaire. Et les travaux démontrent l'aptitude des cerveaux humains à se synchroniser pour mieux interagir et ressentir en même temps. En un mot, « être sur la même longueur d'onde ».
Lorsque des personnes discutent ou partagent une même expérience, leurs ondes cérébrales se synchronisent. Dans les mêmes zones de leurs cerveaux, les neurones émettent des décharges électriques simultanément, créant des motifs analogues, comme des danseurs qui se déplaceraient d'un même mouvement concerté. De telles observations mettent en évidence la richesse et la complexité des interactions sociales humaines. Par exemple, dans les classes où les élèves sont attentifs, leurs ondes cérébrales entrent en phase avec celles de l'enseignant. Et un meilleur alignement des ondes semble lié à une meilleure qualité d'apprentissage. De même, les ondes cérébrales de régions précises du cerveau de personnes qui assistent à un concert se calquent en partie sur celles de l'interprète.
En l'absence d'interactions, les ondes cérébrales de plusieurs individus, c'est-à-dire les décharges électriques qui parcourent leurs neurones, sont très différentes. Mais au fur et à mesure de la survenue d'interactions entre ces personnes, les schémas de leurs ondes cérébrales se ressemblent de plus en plus. Et plus la synchronisation est étroite, plus le plaisir est grand.
Comment cette synchronisation se produit-elle concrètement ? Cela reste en partie un mystère pour le moment. En tout cas, il est certain que cela va bien au-delà des connaissances sur les « neurones miroir ».
La capacité à se synchroniser est particulièrement impressionnante chez les animaux qui se regroupent par milliers d'individus, comme les oiseaux ou les poissons. Par exemple, lors des « murmures » d'étourneaux, qui se regroupent même à plusieurs centaines de milliers d'animaux, les individus sont capables de véritables ballets collectifs à toute vitesse, sans accident ni contact entre eux.
De même, les bancs d'épinoches évoluent comme un seul organisme ; ces petits poissons semblent reliés entre eux pour être capables de réagir en une fraction de seconde, par exemple face à un prédateur. Pour cela les chercheurs ont montré que chaque individu est synchronisé avec les 7 individus les plus proches, et reproduit le mouvement de ses congénères par mimétisme. Chacun est capable d'amorcer un changement de direction, et les autres suivent. Cela conduit à des effets de vague, comme la célèbre « Ola » des stades de foot.
D'autres études ont été menées chez la chauve-souris, à l'aide d'appareils beaucoup plus sophistiqués pour capter leurs cris et enregistrer leurs ondes cérébrales, sur des périodes de 100 minutes consécutives. Ces chauves-souris, élevées en captivité, étaient équipées de microphones et des enregistreurs individuels traçaient leurs ondes cérébrales.
Les chauve-souris sont des animaux sociaux, qui vivent naturellement en groupes de plusieurs centaines d'individus. Elles ont tendance à se reposer et à être actives au même moment. En revanche, lorsque les animaux sont séparés en plusieurs groupes, ces corrélations s'évanouissent.
Ces colonies sont en réalité constituées de grappes de 4 à 8 individus, qui partagent davantage de comportements communs et qui sont considérés donc comme des « amis ». La synchronisation des cerveaux des animaux issus de la même grappe est encore plus importante qu'avec les autres. Plus la synchronisation cérébrale augmente, plus les interactions sociales sont fortes.
Pour aller plus loin, les chercheurs se sont intéressés à l'activité de neurones individuels dans le cerveau de 4 chauve-souris simultanément, alors qu'elles volaient en groupes de 4, 5 ou 8 individus. Lorsqu'une chauve-souris émet un cri, un appel, cela induit un couplage cérébral collectif parmi toutes celles qui écoutent. Cependant, des ensembles distincts de neurones s'activent en fonction de l'origine des cris. Les neurones individuels sont donc capables de coder et de décoder l'identité d'un individu. Et il existe une corrélation forte, visible chez toutes les chauve-souris d'un même groupe. La synchronisation des cerveaux est encore plus forte lorsque les appels proviennent d'une chauve-souris « amie », issue de la même grappe. Il est ainsi démontré, chez les chauve-souris, que plus cette synchronicité est élevée, meilleure est la relation entre les individus.
Les études menées chez l'être humain n'en sont qu'au commencement. Aujourd'hui, il apparaît clairement que les membres d'un groupe de conversation présentent la même activité cérébrale, au même moment, dans les mêmes zones du cerveau traitant la vision, la mémoire et la compréhension du langage. Les personnes qui écoutent et s'efforcent le plus de parvenir à un consensus – et non celles qui parlent le plus – sont celles dont le cerveau se synchronise en premier avec les autres. Et elles favorisent la synchronisation avec les autres membres du groupe.
Plus intrigant encore, les corrélations dans certaines régions du cerveau sont plus importantes entre les personnes lorsqu'elles racontent une histoire commune que lorsqu'elles racontent chacune leur propre histoire. Cela démontre l'importance des récits collectifs, des histoires communes pour se sentir proches, voire soudés. Il semble ainsi exister une synchronisation lorsque des personnes comprennent de la même manière des stimuli au départ différents, en particulier lorsque ces derniers partagent une signification supérieure pour eux. L'étape suivante est de prouver que les cerveaux peuvent s'activer de manière synchrone proportionnellement au degré de compréhension mutuelle qui s'établit.
Ces différents éléments sont probablement l'une des bases de l'intelligence collective. Une fois synchronisés nos cerveaux semblent agir comme un super cerveau unique, qui n'est pas réductible à la somme de ses parties.
Finalement, nous savons aujourd'hui que la synchronie cérébrale est l'un des moyens par lequel notre cerveau nous aide à coopérer et converser. Notre cerveau facilite l'interaction sociale si essentielle à la vie humaine, grâce aux différents niveaux d'interaction neuronale. Quand les individus interagissent, les ondes émises par leurs neurones se coordonnent. Une meilleure synchronisation cérébrale est corrélée à des interactions plus riches. Nous aspirons ainsi naturellement au sein d'un groupe à enseigner, apprendre, nouer des relations et coopérer.
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