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Elanco & Proplan

27 mai 2024

H5N1 chez les laitières aux USA : les vaches asymptomatiques jouent un rôle dans la transmission

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Localisation (par état) des élevages bovins laitiers infectés par le H5N1 aux USA, au 25 mai 2022 (LeFil avec USDA, 2024).
Localisation (par état) des élevages bovins laitiers infectés par le H5N1 aux USA, au 25 mai 2022 (LeFil avec USDA, 2024).
 

Au 25 mai, il y avait 63 élevages bovins laitiers confirmés infectés par le virus H5N1 aux USA, dans 9 états – et deux cas humains, tous deux bénins. Pour deux états (l'Ohio et la Caroline du nord), un seul foyer a été identifié depuis le début de la détection de l'épizootie (voir l'illustration principale), il y a tout juste deux mois. L'état qui en compte le plus est le Michigan (19 foyers), devant le Texas (14 foyers), où tout semble avoir commencé. Ces deux états sont aussi ceux où sont localisés les deux cas humains confirmés. Toutefois, « le nombre réel » de foyers « pourrait être beaucoup plus élevé » indique un article de journalisme scientifique publié dans Science le 20 mai.

Signes cliniques

Au-delà du décompte des foyers, c'est l'épidémiologie de ce virus dans la population de vaches laitières des USA qui pose questions. Et un manuscrit récent, qui détaille des données issues des 9 premiers foyers identifiés, fournit quelques réponses. Ses auteurs préviennent que le passage du virus H5N1 à la vache laitière « a conduit à des transmission intra- et inter-espèces efficaces ». Ils fournissent une description détaillée des signes cliniques, et précisent que « de l'ARN viral et du virus infectieux sont systématiquement présents dans le lait » issu de ces vaches. Car les vaches laitières affectées présentaient « une diminution de la consommation d'aliments, une diminution du temps de rumination, des signes respiratoires légers (écoulement nasal clair, augmentation de la fréquence respiratoire et respiration laborieuse), une léthargie, une déshydratation, des excréments secs ou collants ou une diarrhée, et un lait d'une couleur jaunâtre anormale ressemblant au colostrum, d'une consistance épaisse et parfois caillé [voir les images ci-dessous]. En outre, une chute brutale de la production de lait a été observée, plusieurs animaux affectés ne présentant aucune sécrétion de lait » indiquent-ils. Il y a parfois une involution mammaire, et au sein des 9 foyers, dont l'effectif n'est pas précisé, « de 3 à 20 % des vaches ont été affectées », sur une durée variant de 5 à 14 jours. « Si les animaux guérissent, ils ne reviennent pas au niveau de production antérieur avant au moins 4 semaines ». Ce qui a récemment fait dire au président de l'association américaine des praticiens bovins qu'une vache atteinte représente une perte de 100 à 200 $ par élevage.

Laits issus de vaches laitières infectées par le virus : ils présentent une couleur jaunâtre et un aspect semblable à celui du colostrum (clichés du haut), ou une coloration allant du jaunâtre au rose/brun. Le caillage du lait est visible dans certains échantillons (Caserta et al., 2024).

 

Excrétion : nez, urine, mais surtout lait

Dans la première exploitation investiguée, 10 vaches avaient été prélevées : 1 seule était positive en RT-PCR sur écouvillon nasal, mais 8 autres étaient positives sur le lait. Les auteurs décrivent aussi une virémie transitoire : 3 des 25 prélèvements sur sang total (et 1/15 sérums) ont été trouvés positifs. Ce qui expliquerait la contamination initiale des mamelles par le virus. Car les cellules épithéliales de la mamelle expriment les récepteurs des virus influenza à la fois des volailles et des mammifères. Les écouvillons nasaux positifs dans environ un cas sur cinq (10/47), alors que le lait l'est nettement plus souvent (129/192), avec les charges génomiques les plus élevées de tous les prélèvements. Sur la série de prélèvement réalisés dans l'exploitation de l'Ohio, les auteurs observent aussi une excrétion dans l'urine (2 prélèvements positifs en RT-PCR sur 15), mais jamais dans les fèces. Le virus a aussi été détecté dans les poumons et les nœuds lymphatiques. Aussi les auteurs proposent que « le virus [arrive] par voie respiratoire et/ou orale, se répliquant à de faibles niveaux dans les voies respiratoires supérieures (par exemple, les cornets nasaux, la trachée et/ou le pharynx), d'où il se disséminerait vers d'autres organes [dont la mamelle] par le biais d'une virémie brève et de faible intensité ».

Infections asymptomatique

L'exploitation de l'Ohio « été touchée après que [42] vaches apparemment saines ont été déplacées du Texas vers ce site », le 8 mars 2024. Les vaches étaient parties de l'exploitation texane 5 jours avant que les signes cliniques n'y apparaissent, et sont arrivées dans l'exploitation de l'Ohio 12 jours avant que les signes cliniques n'y apparaissent. Des chats y sont décédés après l'arrivée des vaches texanes. L'analyse génétique des virus issus de tous ces animaux confirment cette transmission via des vaches asymptomatiques. Les auteurs ont également. Prélevé des sujets en bonne santé dans l'élevage de l'Ohio : ils excrètent peu dans le lait (1/15 prélevées dans l'exploitation de l'Ohio), mais presque aussi souvent que les autres par voie nasale (6/19) et plus souvent dans l'urine (4/9). « Il y a donc bien une infection subclinique » et « une transmission efficace de vache à vache ».

Machine à traire et/ou vecteurs inertes

Dans tous les cas, les auteurs observent que l'excrétion nasale et la virémie sont éphémères en début d'infection. En revanche, chez les vaches à signes cliniques, des échantillons de lait ont été trouvés positifs aux jours 16 (10/12) et 31 (4/12) après le début de l'expression clinique. Ce qui étaye l'hypothèse d'une « infection directe de la glande mammaire par l'orifice du trayon et les citernes, qui peut se produire mécaniquement par l'équipement de traite, pendant la traite. Dans les années 1950, plusieurs études avaient montré que l'inoculation directe du virus (souche humaine de la grippe saisonnière) dans la mamelle des vaches laitières et des chèvres pouvait entraîner une infection et une excrétion virale pendant au moins 10 jours ». Leur analyse (en particulier par la phylogénie des souches) identifie aussi une chaîne de transmission entre trois autres exploitations, distantes de 180 à 430 km. Dans ce cas, les auteurs évoquent le rôle de vecteurs mécaniques dans la transmission. Pour affiner et valider ces hypothèses, une inoculation expérimentale serait nécessaire, mais le statut spécifique du H5N1, qui ne peut être manipulé qu'en enceinte confinée (BSL-3), impose de disposer d'installations de grande taille pour le modèle bovin. Un article scientifique publiée en libre accès dans Science le 7 mai explique que de tels travaux devraient prochainement commencer en Allemagne, au Canada et aux USA.

Au bilan, « la propagation de l'IAHP H5N1 aux vaches laitières et les preuves d'une transmission efficace de mammifère à mammifère sont sans précédent. Cette propriété virale nouvellement acquise est préoccupante car elle peut conduire à une adaptation du virus susceptible d'améliorer encore son infectiosité et sa transmissibilité chez d'autres espèces, y compris l'humain ».