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Elanco & Proplan

29 octobre 2020

Le Sénat examine aujourd'hui la création d'une cinquième école vétérinaire privée à… Rouen

par Eric Vandaële

Temps de lecture  8 min

Explosion sur la ville de Rouen
Explosif ! Rouen sera-t-elle la ville qui abritera la cinquième école vétérinaire française ? Et surtout la première école véto privée du groupe UniLaSalle. Les sénateurs LR et En Marche sont prêts à l'accepter aujourd'hui avec le soutien probable du gouvernement. Les socialistes et les écologistes sont contre, tout comme les syndicats vétérinaires. L'Ordre juge le projet légitime mais exige « impérativement » une formation d'un niveau de qualité équivalent aux ENV actuelles. Photo France Bleu de l'incendie de l'usine Lubrizol et du panache de fumée sur la ville de Rouen.
Explosion sur la ville de Rouen
Explosif ! Rouen sera-t-elle la ville qui abritera la cinquième école vétérinaire française ? Et surtout la première école véto privée du groupe UniLaSalle. Les sénateurs LR et En Marche sont prêts à l'accepter aujourd'hui avec le soutien probable du gouvernement. Les socialistes et les écologistes sont contre, tout comme les syndicats vétérinaires. L'Ordre juge le projet légitime mais exige « impérativement » une formation d'un niveau de qualité équivalent aux ENV actuelles. Photo France Bleu de l'incendie de l'usine Lubrizol et du panache de fumée sur la ville de Rouen.
 

Explosif ! Ce jeudi 29 octobre dans la nuit ou demain vendredi 30 octobre, le Sénat aura probablement voté le principe de créer des écoles vétérinaires privées en France en plus des quatre écoles nationales vétérinaires publiques. La création d'une cinquième école vétérinaire privée serait une manière pour l'État de répondre au moins partiellement à la pénurie de vétérinaires sans que cela lui coûte de l'argent par la construction et la gestion d'une nouvelle école nationale vétérinaire publique.

En France, cela serait évidemment une première. Une révolution même. Mais pas en Europe. D'autres pays européens acceptent déjà que leurs vétérinaires soient formés dans des écoles privées dont les diplômes sont d'ailleurs reconnus en France.

LR et En marche pour une école privée contre la gauche et les verts

Deux sénateurs vétérinaires, François Patriat (pour le groupe La République en Marche) et Jean Bizet (groupe Les Républicains) ont déjà fait voter le 14 octobre dernier par la commission culture du Sénat un amendement dans ce sens dans le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Le rapporteur de ce projet de loi a donné un avis très favorable à cet amendement qui en constitue le nouvel article 22 bis. Le gouvernement ne semble pas hostile à cet amendement, bien au contraire. Il est probable que le ministère ait participé à la rédaction de ces amendements.

Le projet de loi qui sera examiné ce soir ou demain par le Sénat comporte déjà l'article 22 bis voté en commission qui donne naissance aux écoles vétérinaires privées. Pour le moment, les sénateurs des groupes socialistes et écologistes ont déposé des amendements pour s'opposer à cette initiative.

Une formation privée agréée par le ministère de l'agriculture

Selon le projet de loi, des écoles supérieures privées relevant du ministère de l'agriculture pourront « assurer la formation initiale et continue de vétérinaires » comme c'est déjà le cas pour des écoles privées d'ingénieurs agronomes ou de paysagistes (article L. 813-10 du code rural). Il s'agirait d'écoles privées à but non lucratif et agréées par le ministère de l'agriculture pour assurer la formation au diplôme d'état de Docteur Vétérinaire.

Le directeur de la formation vétérinaire de ces écoles privées serait nécessairement lui-même un vétérinaire inscrit à l'Ordre. Le non-respect du code de déontologie par les vétérinaires enseignants dans ces écoles privées serait sanctionné par le retrait de l'agrément. Ces écoles privées seraient évaluées dans les mêmes conditions que les écoles nationales vétérinaires publiques.

Une cinquième école véto privée à Rouen par le groupe UniLasalle

L'idée d'une cinquième vétérinaire n'est pas nouvelle. C'est même un serpent de mer. De nombreux projets défendus par les régions ont tous avorté. La Lorraine, aujourd'hui le Grand-Est, a longtemps milité pour une école à Nancy-Metz. L'an dernier, c'est le président de la Nouvelle Aquitaine qui annonçait dans le journal Sud-Ouest la naissance d'une cinquième école vétérinaire (publique) à Limoges. Cela fait des dizaines d'années que le groupe privé UniLaSalle milite pour une école vétérinaire privée à Beauvais orientée vers les productions animales.

Mais c'est finalement pour son campus de Rouen que le groupe UniLaSalle a déposé un projet précis de création d'une cinquième école vétérinaire (privée) auprès du ministère de l'agriculture. C'est ce projet qui désormais tient la corde. Le groupe UniLaSalle propose déjà de multiples formations en agronomie dans quatre campus à Beauvais, Amiens, Rennes et… Rouen. Mais, dans ce nouveau projet, c'est le campus de Rouen qui serait en capacité d'assurer la formation de 120 nouveaux vétérinaires par an sur une durée de six ans (soit un campus de 720 élèves vétérinaires au total à Rouen).

Une sélection post-bac avec des frais de scolarité de 90 000 € sur six ans

La sélection en première année se ferait directement post-bac à travers Parcoursup sans passage par les classes préparatoires. Pour la rentrée 2021, ce recrutement post-bac concernera aussi 25 % des élèves qui entreront l'une des quatre écoles vétérinaires publiques. Le coût total des études est estimé à 90 000 € sur six ans, soit des frais de scolarité aux alentours de 15000 € par élève et par an ! Ce tarif s'approche des écoles de commerce parisiennes les plus prestigieuses. Il sélectionnerait alors davantage ces futurs élèves sur les capacités financières des parents en sus d'éventuels emprunts pour financer ces études.

À titre de comparaison, les droits de scolarité dans les ENV s'élèvent à 2531 € par an, soit 12 655 € pour les cinq ans d'études.

Pour remédier à la pénurie de vétos en France…

Les promoteurs de la création d'écoles vétérinaires privées font d'abord le constat d'un manque de vétérinaires en France. Les vétérinaires peinent à trouver des remplaçants ou des aides ou de futurs associés.

Les besoins sont estimés à mille nouveaux vétérinaires par an, principalement pour les animaux de compagnie, un marché en plein essor. Les écoles vétérinaires ont augmenté leurs capacités de 35 % en huit ans, de 2012 à 2020. Mais, malgré cette forte hausse, elles ne forment finalement que 640 vétérinaires par an. Ce qui est donc très loin des besoins.

De fait, environ 45 % des nouveaux vétérinaires qui s'inscrivent à l'Ordre des vétérinaires pour exercer en France sont diplômés d'une autre école de l'Union européenne. De nombreux jeunes étudiants français qui n'arrivent pas à entrer dans les écoles vétérinaires françaises (ou ne souhaitent pas se confronter aux aléas et aux difficultés du concours véto) vont déjà se former en Belgique, en Roumanie, au Portugal, en Espagne… avant de revenir exercer en France. Hors de France, ces écoles européennes peuvent déjà être publiques ou privées. Certaines ont même développé des offres de formation francophones pour s'adapter à la demande de ces jeunes étudiants qui aspirent à devenir vétérinaire en France. Face au coût des études à l'étranger, la cinquième école — avec ces frais de scolarité très élevés — devrait sans doute recruter en priorité parmi ces jeunes bacheliers qui étaient jusque-là prêts à aller étudier au Portugal, en Espagne ou en Roumanie.

« Une mauvaise réponse à un vrai problème »

Les plus réticents à une cinquième école privée sont les vétérinaires eux-mêmes. « Imaginer qu'il sera formé plus de vétérinaires ruraux parce qu'une école privée gérée par un organisme agricole [le groupe UniLaSalle] voit le jour me paraît peu réaliste » souligne le président le syndicat des vétérinaires libéraux (SNVEL). « C'est une mauvaise réponse à un vrai problème » ajoute le président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France.

« Les droits d'inscription à 90000 € sur six ans favoriseront une classe sociale élevée pas nécessairement prête à s'installer dans les déserts vétérinaires ». Surtout si cette installation apparaît peu rentable pour rembourser le coût des études ou d'éventuels emprunts. Les étudiants actuels des écoles vétérinaires publiques semblent aussi hostiles à ce projet.

Le risque d'une formation à deux vitesses

L'Ordre des vétérinaires, dans un communiqué daté du 21 octobre, ne s'oppose pas au principe de la création d'une école privée. À l'inverse il le juge « légitime ». Car il serait « injustifié de refuser en France ce qui est autorisé au sein de l'Union Européenne ». Il « estime donc normal et logique que des parlementaires se saisissent du dossier pour lever les obstacles législatifs et réglementaires » qui s'opposent aujourd'hui à la création d'une école privée.

Le risque est celui d'une formation vétérinaire à deux vitesses. Face à ce risque, l'Ordre juge « impératif » que les mêmes exigences de qualité de la formation s'appliquent aux écoles vétérinaires privées et publiques. Pas question que l'enseignement vétérinaire prévu soit une formation au rabais ou réserver à des futurs vétérinaires ruraux. Il rappelle le principe de « l'unicité du diplôme de docteur vétérinaire en France qui exclut, de facto, l'accès partiel à la profession vétérinaire ». Même dans une école privée, le titre de docteur vétérinaire ne peut être délivré qu'après soutenance d'une thèse. Pour l'Ordre, il n'est pas non plus question que la création de cette école privée — et le recrutement de ses enseignants — viennent affaiblir les écoles publiques en les dépossédant de son personnel.

Si le Sénat vote en faveur de la naissance d'écoles vétérinaires privées, il conviendra ensuite que les députés l'acceptent également dans les mêmes termes que le Sénat. Cela pourrait être soit à l'issue d'une commission mixte paritaire réunissant six députés et six sénateurs, soit, en cas d'échec de cette commission, par un nouvel examen de ce projet de loi par l'Assemblée nationale.

Enfin, dans l'hypothèse, où cette disposition serait définitivement adoptée dans cette loi, un décret en Conseil d'État devrait ensuite décrire plus en détail les conditions d'agrément d'une école privée.