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Elanco & Proplan

27 septembre 2024

Soins palliatifs : l'expérience personnelle domine les profils de vétérinaires spécialisés

par Vincent Dedet

Temps de lecture  8 min

La première étude sur le parcours et les motivations de vétérinaires européens impliqués dans les soins palliatifs et de fin de vie des animaux de compagnie vient d'être publiée. Elle souligne l'importance de l'expérience personnelle dans ces parcours (cliché : Katy Robertson).
La première étude sur le parcours et les motivations de vétérinaires européens impliqués dans les soins palliatifs et de fin de vie des animaux de compagnie vient d'être publiée. Elle souligne l'importance de l'expérience personnelle dans ces parcours (cliché : Katy Robertson).
 

La formule est délibérément accrocheuse : « la médecine vétérinaire n'est pas terminée lorsque j'ai diagnostiqué une maladie incurable ; pour moi, c'est là qu'elle commence » est le titre d'une publication de deux cliniciens de la faculté vétérinaire de Vienne et d'une autre de la faculté de Berne Vetsuisse, qui ont enquêté auprès de 20 vétérinaires impliqués dans les soins palliatifs et de fin de vie de chiens et de chats. Ils mettent en évidence des points communs sur la motivation conduisant des praticiens à s'impliquer dans ce type de soins, mais aussi les contraintes (temps disponible) et écueils (se préserver) que cela sous-tend.

Institutionnalisation

Les deux termes, “soins palliatifs” et “de fin de vie” concernent des patients incurables et visent à améliorer leur confort de vie. Les soins palliatifs ont pour objectif le traitement de la douleur et des signes cliniques associés à l'affection dont souffre le patient. Les soins terminaux sont « une forme spécialisée de soins palliatifs qui se concentre sur les soins aux patients en phase terminale, proches de la mort et repose[nt] sur une philosophie de soins qui considère la mort comme un processus normal ». Les auteurs soulignent que les vétérinaires canins ont déjà fourni de tels soins dans le passé, mais que la demande actuellement croissante de tels soins provoque une « institutionnalisation » de cette partie de l'exercice. C'est en lien, entre autres, avec la part croissante que l'animal de compagnie a pris dans la famille, mais aussi de leur espérance de vie accrue, justement en lien avec leur médicalisation. Toutefois, les publications sur ce la fin de vie animale sont dans la plupart des cas liées à des témoignages ou des affirmations théoriques, mais aucune ne s'est intéressée à la motivation des praticiens à acquérir des compétences dans ce domaine.

Relationnel, temps, communication et infrastructure

Ils ont donc bâti leur enquête, en focalisant leur trame d'interview sur quatre aspects de cette médecine :

  • Le relationnel, dont ils soulignent l'aspect triangulaire (patient, propriétaire, praticien) du fait de l'importance des émotions dans le processus de décision, mais aussi de l'importance du lien entre le maître et son animal — puisque les consultations vont se multiplier au fil du temps.
  • Le temps a deux facettes ; l'une est l'aspect chronophage des soins, l'autre est le temps restant à vivre au patient. La durée des soins commence avec le diagnostic de maladie incurable et s'achève avec la mort de l'animal. À ce titre, « les vétérinaires devraient adapter leur modèle économique à l'augmentation du temps nécessaire pour les consultations en soins palliatifs, afin de pouvoir les intégrer efficacement dans leur vie professionnelle et les concilier avec leur vie privée ».
  • La communication avec le maître est stratégique : « par rapport à la médecine généraliste, il faut s'attendre à des changements dans la fréquence, les sujets et les canaux de communication » avec le maître.
  • Le dernier aspect est celui de l'infrastructure dans laquelle les soins sont prodigués, à la fois en termes d'équipement et d'interdisciplinarité des équipes. Les auteurs soulignent que cela va jusqu'à incorporer des travailleurs sociaux et des psychologues dans ce travail et « repenser les modalités de formation » continue.

La trame de l'interview permet de guider l'entretien (réalisé en visioconférence de 73 minute en moyenne), qui est enregistré, transcrit puis analysé avec les outils des sciences humaines. Ainsi, les auteurs ont réalisé des entretiens avec 8 praticiens allemands, 7 suisses et 5 autrichiens faisant état d'une spécialisation dans le domaine des soins palliatifs et de fin de vie (18 femmes et deux hommes). Un seul était employé, tous les autres étaient de libéraux, soit liés à une structure, soit avec un exercice itinérant.

Quatre motivations

Pour ce qui est de la motivation ayant conduit ces praticiens à se spécialiser dans le domaine, les auteurs relèvent quatre causes sous-jacentes :

  • L'expérience avec son propre animal, en particulier au moment d'une euthanasie mais aussi face « à un manque d'informations sur les maladies de l'âge avancé ».
  • L'évolution de leur pensée après la formation initiale, « qui formatait à proposer l'euthanasie lors d'un diagnostic associé à un mauvais pronostic », alors que, indique un répondant « j'ai fait vétérinaire pour faire le mieux pour les animaux ».
  • La tension sur le temps dans l'exercice actuel de la médecine vétérinaire disposant de multiples appareils et qui peut « conduire à une surutilisation potentiellement problématique des tests de diagnostic et à un surtraitement, mais néglige également l'aspect des soins appropriés pour les animaux atteints de leur maladie » incurable.
  • L'expérience personnelle conduisant à un changement de vue sur la perception de la mort, et représentant un élément robuste de la décision de se spécialiser dans le domaine. Les auteurs relèvent que seuls des praticiens en exercice depuis au moins 25 ans citent cet élément de motivation.

Force du lien

Sur le relationnel, les trois aspects retenus par les praticiens interrogés apparaissent avoir une hiérarchie, pour qu'une prise en charge de fin de vie aboutisse bien à une amélioration de la qualité de vie du patient.

  • En premier lieu vient la force du lien d'attachement entre le(s) maître(s) et l'animal. Ces maîtres évoquent l'animal comme un membre de la famille, un partenaire, voire un enfant de substitution. Toutefois, plusieurs praticiens soulignent l'importance que le maître « n'humanise pas son animal » et soit donc « capable de compromis ». De fait, « même si l'attachement émotionnel est important pour être un bon [maître] soignant, l'énergie, les ressources, le temps et l'argent sont également importants et, s'ils font défaut, ils peuvent compromettre le bien-être de l'animal ou celui du soignant ».
  • Suivent l'empathie et la confiance réciproques entre le maître et le praticien. Plusieurs répondants parlent d'une « alchimie » conduisant à une relation plus intime qu'avec des patients “classiques”. Cela conduit à apprendre des aspects de la vie des maîtres qui « peuvent être difficiles à entendre ». Au point qu'il faut « savoir maintenir une distance professionnelle, pour se préserver ».

Transparence et limites

Sur la communication avec les maîtres, deux points saillent de l'analyse des entretiens. Le premier est celui des canaux que cette nouvelle relation de soins va utiliser : elle risque d'imposer des appels d'urgence, nocturnes parfois, fréquents à la fin de vie de l'animal… Les répondants soulignent l'importance de limiter la présence physique (consultation) aux horaires diurnes de travail. Le téléphone, le courriel et les messageries peuvent être utilisés au-delà. Le second est lié aux sujets abordés par les maîtres. Le plus souvent, ils « veulent parler de la qualité de vie du patient, de l'évitement de la souffrance et du moment opportun pour l'euthanasie » et dans ces échanges, la transparence prime. « Il faut savoir fixer la limite » pour rassurer le maître qui « ne veut ni euthanasier son animal trop tôt, ni le laisser souffrir de manière inconsidérée ».

Prendre et laisser du temps

Quant au temps, trois notions ressortent des entretiens, qui relèvent presque plus du timing que de la notion de durée.

  • La première est de prendre le temps, à l'écoute et en consultation, mais en s'assurant que le maître dispose aussi du temps qu'il demande au praticien. Il faut « répondre aux sentiments, aux émotions, au désespoir, à l'impuissance » formulés par les maîtres. Oubliée, la consultation de 15 minutes. « Je prends consciemment au moins une heure et cela fait une telle différence pour moi et pour ces gens »… cela « accroît la satisfaction au travail » témoignent plusieurs des spécialistes.
  • La seconde est de laisser aux maîtres assez de temps pour dire adieu à leur animal au moment de l'euthanasie. Il faut, pour ce jour-là, « bloquer beaucoup de temps » et « créer une oasis de calme ». Le fait d'euthanasier l'animal chez lui est apprécié, et un praticien itinérant souligne qu'il y consacre alors 1 à 3 h.
  • Plusieurs praticiens insistent sur le besoin de se rendre disponibles si l'état de l'animal se détériore : « le décès n'est pas programmable » et ils « donnent leur numéro personnel de téléphone pour être joignables à n'importe quel moment » quand ils estiment que l'animal arrive en fin de vie. « Même en dehors des astreintes ». Cette partie du travail « ne peut pas être pleinement facturée ». Deux répondants soulignent que c'est un choix, qui va avec celui de cette spécialisation.

Disponibilité, domicile et ASV

Au final, les répondants ont soulevé trois services qui devraient être permis par l'infrastructure d'exercice :

  • Pouvoir réaliser des visites au domicile du patient (et de ses maîtres), au moins en début de suivi, pour réaliser des proposition réalisables dans son milieu de vie. La présence d'un jardin, ou d'escaliers, sont évidemment des aspects importants pour la gestion de la douleur. Et, comme mentionné précédemment, pour l'euthanasie (pas de stress de transport, milieu familier…).
  • Disposer d'un lieu dédié et sécurisé au sein de la clinique, ce qui n'est pas toujours le cas. L'un des répondants voudrait mettre en place un lieu d'exercice dédié à l'activité de fin de vie.
  • Disposer d'une grande flexibilité, ce qui est possible lors d'un exercice indépendant (itinérant). Toutefois, le soutien fourni par les ASV au sein d'une structure est cité comme fortement appréciable : « elles sont partout, elles aident énormément et sont fortement impliquées dans la communication avec le soignant, c'est très important ».

Si ces résultats sont nouveaux pour ce domaine d'étude, les auteurs préviennent qu'il ressort aussi de ce travail que « il est important que les vétérinaires prennent en compte les aspects de la gestion des soins personnels en réfléchissant à leurs propres ressources en temps et en énergie lorsqu'ils s'occupent d'animaux et de leurs soignants ». Sans surprise, il soulignent aussi que « des recherches supplémentaires sont nécessaires pour étudier dans quelle mesure les expériences personnelles antérieures ou même actuelles des professionnels peuvent avoir un impact et façonner leur carrière professionnelle, et constituer une source importante de motivation pour quitter certaines voies de carrière ou se concentrer sur des domaines spécifiques de la médecine vétérinaire ».