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Elanco & Proplan

16 décembre 2024

Une 6e école véto en France ? Non, pas opportun selon le Conseil général de l'agriculture

par Agnès Faessel

Temps de lecture  8 min

Source : rapport CGAAER n°23045, page 12.
Source : rapport CGAAER n°23045, page 12.
 

Il y a quelques années, la validation du projet de l'institut UniLaSalle d'ouvrir une école vétérinaire privée en France avait créé la surprise, et généré de l'incompréhension : pourquoi ne pas créer plutôt une 5e ENV ? Plusieurs régions de France, en particulier la Nouvelle-Aquitaine (avec Limoges) ou le Grand Est (avec Metz), avaient pensé des projets dans ce sens. Limoges a même accueilli pour leur semaine d'intégration les premiers étudiants recrutés par la voie post-bac dans les ENV, à deux reprises.

Quid donc d'une 6e école ? Ne répondrait-elle pas à la pénurie de vétérinaires praticiens et à la problématique du maintien du maillage vétérinaire, qui se desserre dans nombre de territoires ? C'est pour en évaluer l'opportunité et la faisabilité qu'une mission d'étude et d'expertise a été confiée au CGAAER (Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux) en mars 2023.

Le rapport de cette étude (85 pages), établi par Jean-Pierre Orand et Grégoire Thomas (inspecteurs généraux), a été rendu public le 4 décembre. Prudence toutefois sur ses conclusions : comme tous les rapports de ce type, il ne présage pas des suites qui lui seront données par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA), commanditaire de l'étude.

Évolution démographique : du déficit vers l'excédent

Le travail des experts du CGAAER a suivi 2 phases : l'examen de la démographie vétérinaire (situation actuelle et prospective) puis l'analyse des projets de création d'une nouvelle école vétérinaire en France.

L'examen de la démographie vétérinaire s'est appuyé notamment sur les données de l'Observatoire national démographique vétérinaire (piloté par l'Ordre des vétérinaires), mais aussi des écoles, d'enquêtes, etc. Cet observatoire a été mis en place en 2016 en effet, dans un contexte de baisse du nombre de vétérinaires exerçant en médecine rurale et de désertification de certaines zones. Il permet d'analyser les entrées et les sorties au tableau de l'Ordre.

Il ressort de cet examen l'existence d'un déficit actuel entre l'offre de vétérinaires diplômés et le besoin de recrutement, subi surtout dans le secteur rural et de l'élevage.

Le nombre d'étudiants vétérinaires formés en France est toutefois en forte augmentation. Il atteindra +75 % en 2030 par comparaison à 2017. En effet, des mesures ont été prises depuis plusieurs années afin d'augmenter les effectifs d'étudiants vétérinaires en France et de diversifier leur profil.

Cette progression découle ainsi de l'ouverture de la 5e école à Rouen (et ses promotions de 120 élèves, dont les premiers seront diplômés en 2028), mais aussi de l'augmentation des effectifs dans chacune des 4 ENV (Alfort, Lyon, Toulouse et Nantes), dès 2013. Les promotions sont de 180 étudiants par école aujourd'hui (contre 120 en 2012), et elles pourraient monter à 200 à partir de 2026 (sous réserve du financement de cette nouvelle tranche d'augmentation).

À ce jour, le total des places offertes en France atteint 840. Et à horizon 2030, sauf changement de plans, environ 920 jeunes vétérinaires seront diplômés en France chaque année (voir figure en illustration principale).

En parallèle, une accélération du recours aux études vétérinaires proposées dans d'autres pays d'Europe (une trentaine d'établissements à ce jour, en Espagne, au Portugal, en Roumanie, etc.) est constatée. Il en résulte un afflux « massif » de diplômés de nationalité française rentrant en France pour exercer. Parmi les primo-inscrits au tableau de l'Ordre, ces diplômés d'autres écoles européennes pèsent désormais pour plus de 50 %.

Actuellement, 800 à 950 jeunes Français sont formés à l'étranger, et ce nombre est susceptible d'augmenter ! Le nombre total de jeunes diplômés entrant sur le marché de l'emploi est ainsi estimé à 1600-1800 à horizon 2030, au minimum. Il convient d'y ajouter les diplômés de nationalité étrangère venant travailler en France (belges, italiens, espagnols), qui représentent 18 à 20 % des primo-inscrits au tableau de l'Ordre (soit environ 200 par an).

Or, les besoins en recrutement sont estimés de leur côté à 1200-1400 par an, ce qui présage d'un excédent de 500 à 600 vétérinaires. Dans leur mission en effet, les experts ont affiné la projection de ces besoins à échéance 2030. Et ils ont tenu compte des sorties du tableau de l'Ordre : départs en retraite et reconversions, à effectifs relativement stables (500 à 700 vétérinaires par an).

Large couverture des besoins à horizon 5 ans

En pratique, l'étude de l'évolution démographique de la profession vétérinaire permet de projeter à moyen terme (5-6 ans) une large couverture des besoins, voire un excès quantitatif.

Augmenter le nombre de vétérinaires diplômés ne suffira toutefois pas à combler le manque en zone rurale : « le besoin persistant, plus sensible dans les territoires d'élevage, ne pourra pas se régler uniquement par une augmentation supplémentaire des diplômés mais plutôt par une approche globale, conduite sur les territoires, en associant dans un plan d'ensemble de soutien à l'élevage, des mesures d'attractivité et des révisions des modalités d'exercice en milieu rural », préviennent les experts du CGAAER.

Le modèle économique de l'exercice vétérinaire en pratique rurale, actuellement basé sur les urgences et la vente de médicaments, mérite aussi d'être revu. La contractualisation des relations entre éleveurs et vétérinaires semble alors être « une piste à privilégier ».

Trois projets de 6e école

Les experts ont également analysé les projets de création d'écoles vétérinaires en France. Ils en ont identifié 3, à Limoges donc, et à Metz, ainsi qu'à Bayonne (pays-Basque, en région Nouvelle-Aquitaine aussi).

À Limoges, le projet d'une 5e ENV s'inscrit comme action emblématique dans un plan régional « de soutien à la médecine vétérinaire pour les animaux de rente 2022-2026 ». La Nouvelle-Aquitaine est effectivement une région agricole, tournée vers l'élevage mais où les effectifs de vétérinaires ruraux ont chuté de 11,5 % en 5 ans. Le rapport présente les nombreux atouts mais aussi les faiblesses de ce projet, dont la mise en œuvre ne permettrait en outre qu'une sortie des premiers diplômés dans un délai de 10 ans au moins. Ce projet serait toutefois « le premier à examiner » si ouvrir une 5e ENV était décidé.

À Bayonne, le projet d'une école privée émane de l'École d'ingénieurs de Purpan (EI Purpan, Toulouse). En réflexion depuis 2022, il est très élaboré. Une relocalisation en métropole bordelaise (et/ou une articulation avec le projet de Limoges) n'est pas exclue.

À Metz, le projet d'une 6e école est né sous l'impulsion du sénateur de Moselle et est porté par la région, le département et la métropole messine. Il fait suite à un ancien projet d'une nouvelle ENV des années 2010. Les porteurs n'ont pas tranché entre un projet d'école publique ou privée, et il reste à construire.

Non, sauf par choix purement politique

En conclusion de leur étude, les experts du CGAAER émettent une série de 6 recommandations, dont 2 portent sur la poursuite d'actions en cours :

  • Continuer le suivi démographique de la profession vétérinaire et les analyses prospectives ;
  • Poursuivre le soutien public au plan de renforcement des ENV pour stabiliser la trajectoire d'augmentation des effectifs. L'intérêt de la seconde tranche d'augmentation des effectifs pour atteindre 200 étudiants par promotion est jugé « incontournable ».

De nouvelles études sont également conseillées :

  • Sur l'ouverture et la préparation à une formation aux autres métiers vétérinaires que praticien (recherche, industrie, santé publique), en lien aussi avec l'excédent de diplômés projeté d'ici 5-6 ans ;
  • Et sur la faisabilité et l'opportunité d'aider financièrement les étudiants français se formant dans d'autres pays d'Europe (bourses d'études sur critères sociaux et de réussite, à l'instar de ce qui se fait pour les formations dépendantes du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche), dans des établissements toutefois accrédités.

Outre l'attractivité développée pour les étudiants français dans certains pays (cursus en français, organisation d'accueil, offres de prêts…), les établissements étrangers proposent en effet une formation de relative bonne qualité : sur les 27 identifiés, seuls 6 ne sont pas (encore) accrédités par l'AEEEV (système c'accréditation européen). La formation clinique se heurte toutefois à la barrière de la langue (les propriétaires d'animaux ne parlent pas français) et à un défaut d'équipement ou de stages.

La mission propose aussi d'établir l'habilitation sanitaire comme un prérequis à l'inscription au tableau de l'Ordre. Elle ne l'est pas aujourd'hui, et la formation n'est dispensée que dans les écoles françaises.

Enfin, la création d'une 6e école vétérinaire en France, privée ou publique, n'est pas recommandée : « la situation française nette ne justifiera donc plus d'augmentation de diplômés, par la création de nouvelles écoles, publiques ou privées ».

Si le choix était inverse, il est recommandé en revanche, pour tout projet, d'exiger un dossier complet : « élaboré par un porteur identifié, incluant un modèle pédagogique complet, un modèle foncier et immobilier, un modèle économique et une trajectoire économique pluriannuelle ». Et ce avant toute décision politique. Car concernant une telle création, « la mission renvoie à des choix purement politiques de souveraineté accrue pour la formation en France des vétérinaires, dès lors que le besoin net de diplômés est assuré, tout en soulignant la difficulté de limiter les départs à l'étranger d'étudiants français ». Le degré de souveraineté souhaité, en termes de formation et d'origine des diplômés, est en effet la seule question politique qui se pose pour l'État.

Ce rapport d'étude date de mars 2024. Il a toutefois été publié début décembre, soit quelques jours après la publication d'un arrêté sur l'organisation du concours d'entrée 2025 dans les ENV, avec la répartition des places offertes (724 au total). Cette répartition prévoit une nouvelle baisse des effectifs recrutés par les classes prépa ; elle fera l'objet d'un prochain Fil.