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Elanco & Proplan

9 septembre 2020

Pour enlever un mastocytome, l'efficacité du tigilanol est si visible qu'il faut se préparer à ne rien faire sur la plaie

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

Trois exemples d'évolution clinique de mastocytome traité par une injection de tigilanol
L'apparition d'une importante plaie nécrotique dans les 4 à 7 jours après l'injection du tigilanol est un gage de son efficacité destructrice sur le mastocytome. Mais, pour favoriser la cicatrisation et éviter les complications, le plus difficile est peut-être de ne pas toucher à cette plaie, de laisser le chien sans collerette, sans pansement, sans antibiotique ni antiseptique, pas même un cicatrisant… Photos Virbac.
Trois exemples d'évolution clinique de mastocytome traité par une injection de tigilanol
L'apparition d'une importante plaie nécrotique dans les 4 à 7 jours après l'injection du tigilanol est un gage de son efficacité destructrice sur le mastocytome. Mais, pour favoriser la cicatrisation et éviter les complications, le plus difficile est peut-être de ne pas toucher à cette plaie, de laisser le chien sans collerette, sans pansement, sans antibiotique ni antiseptique, pas même un cicatrisant… Photos Virbac.
 

« Je ne crois que ce que je vois » aurait dit l'incrédule Saint-Thomas. Avec le tigilanol (Stelfonta°), vous pouvez aussi devenir tout aussi incrédule que Saint-Thomas. Car « Il faut le voir pour y croire » à l'efficacité antitumorale non pas miraculeuse mais incroyable de cette substance diterpène extraite de la graine d'un arbuste d'une forêt australienne : Fontainea picrosperma ou blushwood.

Développé par une start-up australienne, QBiotics, ce médicament Stelfonta° a été approuvé fin 2019 par l'Agence européenne du médicament (LeFil du 9 décembre 2019) et autorisé en janvier 2020 par la Commission Européenne (LeFil du 22 janvier 2020). Virbac en assure la commercialisation en Europe, depuis quelques semaines en Allemagne et au Royaume-Uni, puis en France, depuis quelques jours. « Pour la première fois, des mastocytomes jusque-là incurables — car ne pouvant pas être enlevés par une chirurgie — pourront trouver une solution thérapeutique définitive et non palliative » s'enthousiasme en conférence de presse notre confrère Olivier Bidaud, directeur marketing et technique de Virbac France.

Un traitement à environ 300 € HT en prix centrale

En centrale, ce flacon de 2 ml est désormais disponible aux alentours de 300 € HT. Il se conserve au réfrigérateur pendant 48 mois après la date de fabrication.

Photo Virbac.

En pratique, Stelfonta° se présente en petit flacon de 2 ml soit 2 mg de tiglate de tigilanol par flacon. Cette dose permet de traiter, presque d'enlever, la très grande majorité des mastocytomes (jusqu'à 4 cm3) éligibles à ce traitement. Le protocole thérapeutique prévoit en effet d'injecter par voie intratumorale un volume de la solution à 1 mg/ml de tigilanol correspondant à la moitié du volume de la tumeur, soit 1 ml pour une tumeur de 2 cm3, 2 ml pour 4 cm3

Dans l'essai clinique multicentrique Stelfonta° sur 123 chiens, la quasi-totalité des tumeurs éligibles (jusqu'à 10 cm3 dans cet essai) sont en fait dessous de 4 cm3. Les trois quarts des tumeurs sont d'un volume inférieur à 2,6 cm3.

Un seul flacon, référencé en centrale à environ 300 €, devrait donc suffire à traiter la très grande majorité des cas. Mais il conviendra de prévoir un second flacon pour un gros mastocytome (jusqu'à 8 cm3 au maximum). Une fois entamé, le flacon ne se conserve pas, car la solution injectable est sans conservateur. Par souci d'économies, il est possible de grouper les cas dans la même journée si les mastocytomes à traiter sont de petite taille.

Accessible à tous les praticiens, le tigilanol n'est pas classé CMR

Le tigilanol n'est pas une substance classée CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique) comme le sont la plupart des anticancéreux de chimiothérapie. Son usage n'est donc pas aussi risqué, compliqué ou strictement réglementé que celui de ces anticancéreux CMR de chimiothérapie. Il est ainsi accessible à tous les vétérinaires praticiens sans restriction.

Son mode d'action local est triple.

  1. Très rapidement après l'injection, une réponse inflammatoire rapide et localisée se produit notamment par activation de la protéine kinase C (PKC).
  2. Puis, le tigilanol provoque une destruction des vaisseaux qui irriguent la tumeur. La tumeur n'est plus irriguée. Elle se nécrose.
  3. En outre, le tigilanol induit la mort des cellules tumorales, une oncolyse. La tumeur finit donc par disparaître à travers des débris nécrotiques qui sont éliminés.

Ce mode d'action spectaculaire est spécifique aux cellules tumorales. Si le tigilanol est, par accident, injecté dans un tissu sain ou aux marges de la tumeur — ce qui n'est surtout pas recommandé —, il provoque une réaction inflammatoire douloureuse, mais sans destruction des vaisseaux ou de cellules saines non tumorales comme cela se produit dans la tumeur.

Enfin, le tigilanol agit aussi sur la cicatrisation avec un effet positif sur les kératinocytes et leur prolifération. Les expérimentateurs ont donc été surpris aussi par « la cicatrisation exceptionnelle des plaies nécrotiques, parfois spectaculaire par leur étendue, après la perte de la tumeur » souligne notre consœur Christelle Navarro en charge du projet Stelfonta° pour le groupe Virbac dans les différents pays.

Dans 75 % des cas, une seule injection suffit

Les résultats de l'étude clinique pivot multicentrique inclut 123 chiens présentant une seule tumeur (non opérable) avec 81 tumeurs traitées versus 42 non traitées. Dans cet essai, le volume des tumeurs varie de 1,7 cmà 9,8 cm3.

  • À J28 post-injection, la tumeur a totalement disparu dans 75 % des cas (+ 5 % des cas en réponse partielle) versus 5,3 % de disparition dans le groupe non traité.
  • Sur les 20 chiens du groupe traité avec une réponse partielle ou absente, 18 ont reçu une seconde injection à J28. Un mois plus tard, la tumeur a disparu dans 8 cas sur 18, soit presque la moitié des cas réfractaires à la première injection.
  • Au global, en additionnant les résultats avec une ou deux injections, le taux de disparition complète des tumeurs est de 87,2 % (68/78).
  • Dans 96,5 % des cas, il n'est observé aucune récidive dans les trois mois, ni dans les 12 mois dans 88 % de cas.

Laisser la plaie à l'air libre pour une meilleure cicatrisation

L'apparition rapide d'une plaie importante est un gage d'efficacité. Plus la surface de la plaie est grande en proportion de la taille de la tumeur, plus l'efficacité est maximale.

Surtout, il n'est pas recommandé d'intervenir sur la plaie par des bandages ou des pansements. La notice recommande de la couvrir pendant 24 heures pour éviter que l'entourage du chien soit au contact du traitement qui peut être irritant. Mais, pour une meilleure efficacité, une meilleure cicatrisation et un minimum d'effets indésirables, il est recommandé de laisser à l'air libre la tumeur puis la plaie sans aucun bandage, ni pansement, même si certaines plaies peuvent être spectaculaires. Il convient donc de bien préparer le propriétaire à l'apparition d'une importante plaie, comme un gage d'efficacité et, surtout, de ne pas la couvrir par un pansement. L'important est ici d'intervenir le moins possible.

Dans la plupart des cas, aucune antibiothérapie par voie générale n'est nécessaire. Seuls quelques soins hygiéniques peuvent être réalisés — avec des gants jetables — pour éliminer les débris nécrotiques. Dans l'étude clinique, un seul chien a nécessité que la plaie soit bandée, un seul autre que la plaie soit nettoyée. Seulement deux colliers ont été posés pour éviter un léchage excessif.

La cicatrisation de la plaie générée par le traitement est complète dans 56 % des cas après un mois (28 jours), dans 76 % des cas après 1,5 mois (42 jours) et, dans 96 % des cas après trois mois (J84).

Dans quels cas le tigilanol est-il recommandé ? Un mastocytome non opérable

L'exérèse chirurgicale reste le traitement local de choix d'un mastocytome. Mais, cette chirurgie oncologique nécessite de prendre des marges d'au moins 2 ou 3 cm autour de cette tumeur qui n'est jamais bénigne. Même, pour une petite tumeur, la chirurgie oncologique est toujours délicate avec des ouvertures en « côte de melon » d'au moins 10 cm.

Le tigilanol est donc une alternative à la chirurgie pour aboutir au final au « retrait » du mastocytome dans presque 90 % des cas. Les mastocytomes ciblés sont ceux de moins de 8 cm3, cutanés ou sous-cutanés, non opérables et sans métastase identifié au moment du bilan d'extension, notamment au niveau du nœud lymphatique. Le diagnostic de mastocytome nécessite une cytoponction qui peut être réalisée facilement par le praticien. La lecture de ce prélèvement, plus délicate, peut être faite soit immédiatement par le praticien dans la clinique, soit dans un laboratoire d'analyses. L'important est que le diagnostic de mastocytome soit bien établi par rapport à d'autres types de tumeurs ou de grosseurs.

Une alternative à une chirurgie oncologique

Le mastocytome peut être non opérable de par sa localisation, par exemple, au niveau du coude ou du jarret ou en position distale de ceux-ci. Le chien affecté peut aussi ne pas être opérable du fait d'un risque anesthésique trop élevé. De même, les propriétaires peuvent refuser une opération chirurgicale sur un animal souvent âgé, alors qu'une alternative non chirurgicale est désormais disponible pour un coût qui, au final, ne devrait probablement pas dépasser le coût d'une chirurgie oncologique dans un centre de référés.

Un mastocytome est toujours une tumeur maligne, même si elle n'est, heureusement, pas toujours métastasée. Il est possible de grader cette tumeur par un examen histopathologique sur une biopsie. L'efficacité de tigilanol est, sans surprise, meilleure sur les tumeurs de bas grade qui restent d'un meilleur pronostic sur le long terme. En cas de biopsie, il convient d'attendre, la cicatrisation de cette ponction, soit deux semaines, avant l'injection intratumorale pour éviter l'écoulement du tigilanol par le trajet de biopsie. Pour la même raison, le tigilanol est contre-indiqué en cas de mastocytome ulcéré.

L'essai pivot a été réalisé sur des chiens présentant une seule tumeur. Il n'est toutefois pas contre-indiqué de traiter plusieurs petites tumeurs (sans métastase) simultanément à condition de ne pas dépasser la dose maximale de 0,15 mg/kg (ou 0,15 ml/kg) ou 4 ml par animal.

Des injections en éventail pour répartir le tigilanol dans la tumeur

L'injection intratumorale n'est pas difficile à réaliser, la solution aqueuse s'injecte facilement dans la tumeur sans anesthésie. Il n'est même pas toujours nécessaire de sédater l'animal. Il est recommandé de n'utiliser qu'un seul point d'entrée dans la tumeur mais en pratiquant des infiltrations de la solution en éventail pour répartir le plus uniformément possible le tigilanol au contact des cellules tumorales.

Le calcul du volume à injecter nécessite d'estimer précisément le volume de la tumeur en la mesurant par un pied à coulisse dans ses trois dimensions : longueur (L), largeur (l) et profondeur (h). Le volume de la tumeur est estimé à L x l x h x 0,5 en cm3. Le volume à injecter est la moitié de ce volume, soit L x l x h x 0,25 (ml).

Pour éviter les projections de produit hors de la seringue, il est recommandé d'utiliser une seringue luer lock avec une aiguille vissée assez fine de calibre 23G à 27G (0,3 à 0,6 mm). Le port de gants et de lunettes permet de se protéger d'éventuelles projections.

Indispensables corticoïdes et antihistaminiques H1 et H2

Un traitement concomitant — corticoïdes et antihistaminiques H1 et H2 — est indispensable pour limiter la dégranulation des mastocytes qui peut provoquer des effets graves : ulcérations, saignement de l'estomac, choc hypovolémique… Ce traitement par voie orale débute 48 heures avant l'injection et se poursuit pendant une semaine après.

Il comprend une trithérapie :

  • Un corticoïde, prednisolone ou prednisone, pendant 10 jours, de J-2 à J7, à la dose de 0,5 mg/kg matin et soir de J-2 à J4 (soit 7 jours), puis à 0,5 mg/kg en seule prise par jour de J5 à J7.
  • Un antihistaminique H1 et H2 pendant 8 jours, de J0 à J7, matin et soir. En l'absence d'antihistaminique H1 approprié, il est possible de recourir à des médicaments humains comme la cétirizine comme antihistaminique H1 (par exemple à la dose de 0,5 mg/kg matin et soir). Parmi les antihistaminiques H2, seule la cimétidine est autorisée avec une AMM vétérinaire pour Zitac° à la dose de 5 mg/kg trois fois par jour.

Contre la douleur post-injection associée à la réaction inflammatoire aiguë, pour éviter d'associer un AINS à un corticoïde, il est possible de recourir au tramadol ou à un autre opiacé comme la buprénorphine.

Un suivi sans hospitalisation qui rassure sur la plaie

Cette injection ne nécessite pas une hospitalisation de l'animal. Néanmoins, Virbac recommande un suivi :

  • À J1, au lendemain, pour retirer le pansement s'il avait été mis et examiner la réponse (inflammatoire) de la tumeur,
  • Puis à J3 ou J4, éventuellement par téléconsultation, surtout pour rassurer la propriétaire qui peut s'inquiéter de voir apparaître une importante plaie nécrotique ;
  • À J7, en consultation, pour éliminer les derniers débris nécrotiques et surveiller le début d'une cicatrisation en seconde intention ;
  • et, enfin, à J28, pour, le plus souvent, constater la cicatrisation. Dans le cas d'une réponse incomplète, il peut alors être décidé de procéder à une seconde injection.

Pour ce lancement, Virbac a notamment développé un site internet dédié sur ce lien, un guide de bonnes pratiques d'utilisation, des chevalets d'exemples d'évolution attendue des plaies pour bien sensibiliser le propriétaire sur ce point important. Les tissus musculaires peuvent parfois être mis à nu sans que cela compromette une évolution vers la guérison…