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Elanco & Proplan

15 avril 2019

Révolution dans les AINS. Le grapiprant Galliprant°, n'est pas un coxib de plus, mais le premier piprant antagoniste du récepteur EP4 de la PgE2

par Eric Vandaële

Temps de lecture  11 min

Disponible en Europe depuis début avril, la gamme Galliprant comprend des boîtes de 30 comprimés sécables aromatisés en trois dosages de grapiprant : 20 mg pour les chiens de 3,6 à 13,6 kg, 60 mg (jusqu'à 34 kg) et 100 mg (jusqu'à 68 kg).
Disponible en Europe depuis début avril, la gamme Galliprant comprend des boîtes de 30 comprimés sécables aromatisés en trois dosages de grapiprant : 20 mg pour les chiens de 3,6 à 13,6 kg, 60 mg (jusqu'à 34 kg) et 100 mg (jusqu'à 68 kg).
 

« Ce n'est pas une évolution, c'est une révolution ». Le professeur de pharmacologie, Marc Gogny, ancien directeur de l'école vétérinaire d'Alfort et aujourd'hui rattaché à Oniris-Nantes, ne cache pas son enthousiasme lors de la conférence de presse de lancement de Galliprant° (Elanco), des comprimés de grapiprant, un nouvel AINS, le premier de la classe des piprants, destiné au traitement de la douleur arthrosique.

Cette révolution marche sur deux jambes, la pharmacodynamie et la pharmacocinétique.

  1. Le mode d'action est inédit et ciblé à l'extrême. Les piprants, dont le premier représentant commercialisé est le grapiprant, sont des antagonistes sélectifs des récepteurs EP4 de la prostaglandine E2. Ce ne sont donc pas des inhibiteurs des cox contrairement à tous les autres AINS commercialisés jusque-là, depuis l'aspirine jusqu'au dernier coxib sélectif cox2. Ils n'empêchent pas la synthèse des prostaglandines mais antagonisent seulement le récepteur EP4 dont l'activation génère douleur et inflammation.
  2. Le grapiprant est une molécule très lipophile, neutre et stable. Son volume de distribution de 3 litres/kg signe une distribution à la fois périphérique et centrale, ce qui lui confère action analgésique à la fois périphérique et centrale, notamment au niveau médullaire. À l'inverse, les autres AINS, dits « classiques », sont presque tous des acides faibles dont le faible volume distribution (0,3 litre/kg pour le méloxicam par exemple) témoigne d'une distribution seulement extracellulaire, donc périphérique et non pas centrale.

Les vétérinaires sont les premiers à bénéficier de la révolution des piprants dont de nombreux composés sont en encore en cours de développement pour la médecine humaine. Aux USA, Galliprant° est autorisé depuis le 21 mars 2016 et commercialisé depuis par Elanco.

Les effets indésirables des AINS classiques restent redoutés.

Passionné et précurseur sur l'analgésie chez les animaux, Marc Gogny a suivi tous les nouveaux AINS qui sont arrivés sur le marché depuis les années 1980… Les AINS sont seulement définis par opposition aux corticoïdes, les anti-inflammatoires stéroïdiens ou AIS. Jusqu'à présent, tous ces « non-stéroïdiens » partageaient un même mode d'action : il s'agissait d'inhibiteurs de cox, les cycloxygénases, ces enzymes à l'origine de la synthèse des prostaglandines (PgD2, PgE2, PgF2alpha…), de la prostacycline (PgI2), du thromboxane (TXA2)… Et en inhibant les cox, les AINS évitent la synthèse des prostaglandines et notamment de la PgE2, principal médiateur de l'inflammation et de la douleur.

Même s'il y a eu beaucoup d'évolutions — et même des progrès — dans les AINS classiques, d'abord non-sélectifs (cox1 et cox2), puis préférentiels cox2 et enfin sélectifs cox2, tous ces AINS sont des « coxibs » au sens étymologique de ce terme : des inhibiteurs des cox, cox 1 ou cox 2. Tous leurs effets, bénéfiques ou indésirables, découlent de ce mode d'action, explique Marc Gogny. Car les prostaglandines inhibées n'ont pas que des effets délétères pro-inflammatoires et algiques.

Les prostaglandines, notamment la PgE2, protègent aussi la muqueuse digestive. Les AINS ont donc un effet érosif, voire ulcérogène sur la muqueuse digestive, provoquant des vomissements, des saignements, des mélénas, voire parfois des perforations ou des ulcères. En médecine humaine, la prescription d'AINS est d'ailleurs toujours associée à celle d'un inhibiteur de la pompe à protons, un « prazol » comme l'oméprazole. Et en médecine vétérinaire, la crainte de ces effets indésirables reste le principal frein à la prescription au long cours des AINS chez les chiens arthrosiques. 36 % des praticiens attendent des nouveaux AINS un meilleur profil d'innocuité.

Plus rares, mais aussi plus graves, les effets délétères des AINS sur la fonction rénale, découlent aussi de l'inhibition de la synthèse de PgE2 qui, physiologiquement, maintient la filtration glomérulaire. L'insuffisance rénale est donc redoutée avec ces AINS classiques chez les chiens arthrosiques âgés, pré-insuffisants rénaux ou insuffisants cardiaques et traités par un IECA ou le pimobendane. Les chirurgiens hésitent ainsi à les utiliser en analgésie préventive préopératoire, préférant les cantonner à l'analgésie postopératoire. En outre, les AINS classiques sont réputés pour leurs effets anticoagulants du fait de leur effet antiagrégant plaquettaire lié à l'inhibition du thromboxane.

De même, les effets des AINS sur la synthèse des prostaglandines F2alpha conduisent souvent à les contre-indiquer pendant la gestation

Les piprants n'inhibent pas la synthèse des prostaglandines

Comme les piprants n'inhibent pas la synthèse des prostaglandines, même pas la PgE2, ni celle du thromboxane, ils n'ont donc pas les effets indésirables des AINS « coxibs » classiques, les érosions digestives tant redoutées au long cours, ou les effets sur la fonction rénale ou comme anticoagulant qui conduit à les éviter avec les chirurgies sanglantes.

Les piprants sont des antagonistes sélectifs des récepteurs EP4, un des quatre récepteurs de la prostaglandine E2. Car, lorsqu'il est activé par la PgE2, il est à l'origine de l'inflammation locale et surtout de l'hyperalgésie à la fois périphérique (in situ sur le lieu de l'inflammation) et aussi — peut-être surtout — centrale, dans le ganglion spinal et dans la moelle épinière. En revanche, l'affinité du grapiprant pour les trois autres récepteurs (EP1 à EP3) est nulle, notamment sur les récepteurs EP2 pour la fonction rénale et EP3 pour la gastroprotection et la fièvre. Les piprants n'ont d'ailleurs aucun effet antipyrétique contrairement aux AINS classiques.

Le grapiprant est dose-dépendant, pas les AINS classiques

Au-delà de cette action plus ciblée sur les seuls effets liés au récepteur EP4, un antagoniste compétitif ne répond pas aux mêmes règles pharmacologiques de celle d'un inhibiteur enzymatique comme les AINS classiques sur les cox.

  • Pour être efficace, un inhibiteur enzymatique doit inhiber, non pas une fraction des enzymes mais si possible la totalité, au minimum 80 %. La dose minimale efficace correspond donc à la concentration qui inhibe au moins 80 % [IC80], une dose proche de celle qui inhibe 100 % des cox [IC100]. La réponse d'un AINS classique est donc plutôt du type en « tout ou rien ». En dessous de 80 % d'inhibition, les prostaglandines restent synthétisées, l'AINS n'est pas assez efficace. « L'efficacité des AINS coxibs n'est pas vraiment dose-dépendante » explique Marc Gogny.
  • À l'inverse, « l'efficacité d'un antagoniste compétitif est proportionnelle au nombre de récepteurs bloqués ». Si la dose permet de bloquer 50 % des récepteurs EP4, l'efficacité est partielle : 50 % de l'effet maximal. Si la dose augmente, le nombre de récepteurs bloqués augmente, l'efficacité augmente. Un antagoniste compétitif autorise donc un ajustement de la dose que ne permet pas un AINS classique.

Une substance lipophile qui passe la barrière hématoméningée

Structure chimique du grapiprant.

Le grapiprant est une molécule stable, neutre et lipophile. Cela lui permet de passer facilement aussi bien la muqueuse digestive (biodisponibilité de 90 % à jeun) et la barrière hématoméningée avec une action centrale antihyperalgésique. Source Elanco (conférence de presse, avril 2019)

 

Au-delà de ce mode d'action inédit pour un AINS, la pharmacocinétique a aussi son importance. Car les AINS classiques, substances hydrosolubles, souvent des acides faibles, ne franchissent pas (ou peu) à la barrière hématoméningée, ils n'ont pas (ou peu) d'action dans le système nerveux central. Ils agissent surtout sur le site d'inflammation locale. Leur volume de distribution (Vd) est faible, souvent inférieur à 0,5 litre/kg ce qui correspond à une distribution dite extracellulaire, dans les vaisseaux et les liquides extravasculaires.

À l'inverse, le grapiprant est une substance neutre et lipophile, ce qui se traduit par un volume de distribution élevé (3 litres/kg). La distribution est ainsi dite intracellulaire. Le grapiprant franchit donc facilement la barrière hématoméningée. Cela lui permet d'agir aussi bien au niveau périphérique que central avec un important effet « antihyperalgésique » central. Car c'est dans le système nerveux central, au niveau médullaire, que le signal douloureux est fortement amplifié (hyperalgésie centrale).

Une « efficacité qui n'est pas diminuée avec le repas »

Ces caractéristiques expliquent aussi la bonne biodisponibilité du grapiprant par voie orale : 90 % chez les chiens à jeun sous la forme des comprimés Galliprant. Avec les repas, la biodisponibilité chute à 33 %. La notice d'emploi recommande donc d'administrer le comprimé l'estomac vide au moins une heure avant le repas. Le pic plasmatique (1210 ng/ml à jeun) est atteint en une heure (contre 2 à 3 heures lors d'une administration avec le repas). Toutefois, argumente Marc Gogny, même si les comprimés sont administrés avec le repas, « les concentrations plasmatiques (400 à 600 ng/ml) restent bien plus élevées que la concentration minimale efficace estimée à 164 ng/ml chez le chien, et pendant une durée aussi longue qu'avec une administration à jeun ». « Avec les repas, l'efficacité est retardée, mais pas diminuée, ni raccourcie » ajoute Marc Gogny. D'ailleurs, les essais cliniques terrains démontrant l'efficacité du grapiprant ont été réalisés sans tenir compte de cette précaution d'une administration à jeun.

La demi-vie d'élimination du grapiprant est d'environ 5 heures. Aucune accumulation n'est observée. Il est peu métabolisé, mais l'un des quatre métabolites identifiés est actif et prolonge l'action. L'élimination, à 90 % sous forme inchangée, est principalement hépatique (65 % dans les fèces) et, secondairement, urinaire (20 %). « Il n'est donc pas utile d'adapter la dose de cet AINS en cas d'insuffisance rénale chronique » répète Marc Gogny.

Une dose de 2 mg/kg/j qui découle d'une foule d'essais

La posologie est de 2 mg/kg/j, avec une fourchette comprise entre 1,5 et 2,9 mg/kg/j. Le rapport public d'évaluation de l'Agence européenne du médicament détaille les nombreuses études qui ont abouti à cette posologie de 2 mg/kg/j. Une analyse PK/PD (pharmacocinétique, pharmacodynamie) aboutit, en médecine humaine, comme chez le chien, à la dose de 2 mg/kg pour obtenir des concentrations efficaces. De nombreuses études précliniques ont aussi été réalisées sur chiens beagle à partir des douleurs ostéoarticulaires expérimentales avec plusieurs essais de dose titration (à 1, 2, 3, 10 et 30 mg/kg/j) versus firocoxib (Previcox°, BI-Merial) et placebo, puis un essai à 2 mg/kg/j versus robenacoxib (Onsior°, Elanco) et placebo.

Enfin un essai clinique terrain aux USA sur 331 chiens « arthrosiques » a aussi comparé trois schémas posologiques contre placebo sur une durée de 28 jours : 2 mg/kg/j, 2 mg/kg/12 heures, 5 mg/kg/j en une prise. Cette étude conclut qu'il n'y a pas de bénéfice supplémentaire à augmenter la dose à plus de 2 mg/kg/j.

Des essais cliniques à l'aveugle contre placebo

Résultats de l'essai clinique terrain contre placebo

Le succès du traitement est apprécié par le propriétaire sur la base de scores d'évaluation de la douleur et de ses effets délétères sur l'activité du chien. L'effet placebo semble diminué après 21 jours. Le score orthopédique est évalué par le vétérinaire sur la base d'une grille (score de 0 à 28). Source : Elanco (conférence de presse, avril 2019) et Agence européenne du médicament (rapport public d'évaluation)

 

Un second essai clinique terrain à l'aveugle contre placebo a été réalisé aux USA sur 285 chiens à la dose finale de 2 mg/kg/j sur 28 jours. Sur la base du score de douleur évalué par le propriétaire, le taux de succès (entre 45 et 48 %) de Galliprant° est supérieur au placebo (aux alentours de 32 %) avec des écarts significatifs. Dans cet essai, la définition du succès est stricte. La douleur exprimée par le chien (notée sur 10) doit avoir diminué d'au moins un point sur les 7 derniers jours. Et les conséquences délétères de la douleur sur l'activité du chien, sa joie de vie, la marche, la course, la montée des escaliers… également notées sur dix, doivent aussi avoir chuté de deux points. Cela explique, qu'avec de tels critères, les taux de succès restent aux alentours de 50 %, avec le grapiprant comme avec les AINS classiques dans d'autres essais avec la même grille.

Sur la base du score orthopédique évalué par le vétérinaire (douleur à la palpation, à la manipulation, à la marche, à la course…), la différence est plus hautement significative en faveur de Galliprant° par rapport au placebo à J14 (p = 0,0064) comme à J28 (p = 0,0242).

Pas de toxicité rénale, mais des signes digestifs

Dans cet essai terrain, les seuls effets indésirables observés sont digestifs (vomissements, diarrhées…), transitoires (moins de 2 ou 3 jours) et sans gravité (voir le tableau ci-dessous). Ils ne sont ni vraiment plus fréquents, ni plus graves que ceux observés dans le groupe placebo. Pour Marc Gogny, « les vomissements physiologiques sont fréquents chez les chiens. Avec le grapiprant, ils ne sont pas associés à des lésions gastro-intestinales. C'est le point le plus important. À l'endoscopie, aucune érosion de la muqueuse gastrique ou instestinale n'est observée ». Car la gastroprotection associée à la synthèse de PgE2 est respectée.

Tableau des effets indésirables digestifs rapportés dans l'essai terrain comparatif

Source : Elanco (conférence de presse, avril 2019).

 

Ces mêmes effets digestifs ont aussi été observés dans les études de tolérance en surdosage jusqu'à 15 fois la dose recommandée. Surtout « aucun signe ulcération digestive, aucun signe de toxicité rénale ni hépatique n'a été observé jusqu'à 15 fois la dose thérapeutique ». Dans les études de toxicité aiguë chez le chien, la plus petite dose toxique est de 100 mg/kg avec des effets cardiovasculaires, et la plus petite dose létale est de 1 000 mg/kg, soit respectivement 50 à 500 fois la dose thérapeutique. Le RCP contre-indique l'usage de grapiprant chez les chiennes gestantes ou allaitantes, du fait de l'absence d'essais spécifiques à ces situations.

L'association avec d'autres anti-inflammatoires AINS n'est évidemment pas indiquée. En cas de switch d'un AINS vers Galliprant°, Marc Gogny recommande une période sans traitement de 5 jours.

Trois dosages pour des boîtes de 30 comprimés aromatisés

Pour faciliter la prise des comprimés sécables par les chiens, l'excipient est aromatisé avec de la poudre de foie de porc. Commercialisée en Europe par Elanco depuis début avril, la gamme comprend des boîtes de 30 comprimés en trois dosages de grapiprant :

  • 20 mg pour les petits chiens de 3,6 à 13,6 kg (pour un prix HT approximatif de 25 € en centrale),
  • 60 mg pour les chiens moyens de 13,7 à 34 kg (pour un prix HT d'environ 50 € en centrale),
  • 100 mg pour les grands chiens jusqu'à 68 kg (pour un prix d'achat HT entre 65 et 70 €).

LeFil bénéficie, vous le savez, du soutien institutionnel d'Elanco. Compte tenu de ce lien d'intérêt, il n'est pas inutile de vous signaler en conclusion que, si vous en aviez le doute, ce Fil n'est évidemment pas rédigé à la demande d'Elanco. Indépendante, la rédaction des Fils sur les nouveaux produits n'est jamais soumise à la relecture ni à la vérification ou à la correction d'un laboratoire, qu'il s'agisse d'Elanco ou d'un autre.