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Elanco & Proplan

6 février 2025

Pour limiter leurs effets sur le stress et l'anxiété, les incivilités au travail devraient déclencher une réaction de soutien

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Les incivilités au travail sont à l'origine d'un drainage des resources cognitives et émotionnelles, produisant lorsqu'elles sont répétées anxiété, stress, désir de changer d'emploi… Cliché : Unsplash.
Les incivilités au travail sont à l'origine d'un drainage des resources cognitives et émotionnelles, produisant lorsqu'elles sont répétées anxiété, stress, désir de changer d'emploi… Cliché : Unsplash.
 

Faute de procédure préalablement en place, faut-il ignorer les incivilités dont peuvent être la cible un ou des membres d'une structure vétérinaire ? Une enquête réalisée par des psychosociologues du travail britanniques auprès d'un groupe inhabituellement important de professionnels propose des pistes. Car, selon leurs résultats, les incivilités, qu'elles soient du fait de clients ou de collègues, participent à l'anxiété, au stress et à la volonté de changer d'emploi.

Participants internationaux, vétérinaires , ASV et réceptionnistes

L'incivilité sur le lieu de travail « est généralement définie comme un comportement insensible ou irrespectueux dont l'intention peut être ambiguë et qui va à l'encontre des attentes en matière de civilité ». Mais au-delà de cette définition un peu scolaire, cela recouvre des situations bien réelles pour les praticiens et les ASV. Ces sociologues ont rassemblé des personnes travaillant en structures vétérinaires dans le monde entier, démarchées via les réseaux sociaux et des courriels ciblés. Sur les 169 participants à l'enquête, 88 % étaient des femmes ; les pays représentés étaient avant tout le Royaume-Uni (78 %), devant le reste de l'Europe, l'Amérique du nord et l'Australie/Nouvelle-Zélande (6 % chacun). Il y avait 45 % de praticiens, 20 % d'ASV, 19 % de réceptionnistes, 8 % de gestionnaires de clinique et 3 % de soigneurs (le restant des participants n'ayant pas identifié leur poste). Dans la majorité des cas, l'exercice se faisait en canine (78 %), devant les structures mixtes (10 %) ou équines (7 %). Ces participants devaient répondre à un questionnaire en ligne, divisé en quatre volets, mais pouvaient sauter une question à tout moment.

Questionnaire à quatre volets

Outre la description de leur situation, deux volets décrivaient quelques incivilités, qu'il fallait noter de 0 (jamais) à 5 (souvent) vécues. Une partie portait sur les incivilités liées à l'environnement professionnel (par exemple lorsqu'un collègue « ne prête pas attention à ce que vous dites ou à vos opinions ») et une autre à celles manifestées par des clients (sur les 6 derniers mois). Les réponses apportées aux incivilités étaient demandées (ignorer l'incivilité, faire face au comportement, en parler à un ami ou à un collègue, rendre la pareille, quitter la salle…). Un autre volet portait sur la satisfaction au travail, le stress, l'anxiété, le burnout (à noter sur différentes échelles). Enfin, le dernier volet explorait le soutien obtenu au sein de la structure lors de manifestations d'incivilités (obtention d'écoute, de soutien, manifestations de compréhension, respect dans les échanges…).

Incivilités de clients : passent mieux avec du soutien

L'analyse statistique des réponses montre que « les incivilités par les clients sont corrélées positivement aux niveaux de stress, d'anxiété et de burnout » évoqués par les répondants. Le fait d'avoir subi des incivilités de la part de clients « est un prédicteur fiable d'un niveau de stress perçu comme élevé ». Pour ce qui est des réponses apportées à ces manifestations négatives :

  • les ignorer, éviter et en parler à un ami/collègue « sont positivement corrélés avec l'épuisement professionnel [ce qui est défavorable] et l'anxiété et négativement corrélés avec le soutien perçu comme apporté par la structure d'exercice », ce qui est favorable ;
  • la courtoisie au sein de l'équipe est positivement corrélée aux réactions de confrontation et de dénonciation.

Incivilités de collègues : forte source d'anxiété

Lorsque l'incivilité est manifestée par des collègues, elle est :

  • en corrélation négative avec la satisfaction professionnelle, la perception d'un soutien de la part de la structure d'exercice, la civilité de l'équipe et le soutien social,
  • en corrélation positive avec l'épuisement professionnel, le stress, l'intention de quitter son emploi et l'anxiété.
  • En particulier, un niveau élevé de perception d'un soutien de la part de la structure d'exercice « est associé à un moindre niveau de stress » par l'employé.

Lorsqu'ils analysent plus en détail ces incivilités, les auteurs observent un effet très net sur le niveau d'anxiété, qui est amoindri quand l'employé se sent soutenu par l'organisation de son site d'exercice. Quant aux réponses apportées spontanément par la personne ayant ressenti ces incivilités :

  • l'ouverture amicale, l'ignorance, l'évitement et la réciprocité sont tous positivement corrélés à l'anxiété ;
  • réciprocité et évitement sont également corrélés négativement avec le soutien organisationnel perçu et le climat de civilité au sein de l'équipe ;
  • inversement, « chercher à comprendre les raisons sous-jacentes du comportement était positivement corrélé avec le soutien organisationnel perçu, le soutien social et le climat de civilité au sein de l'équipe ».

Gestion : référent sénior et équipe

La majorité des répondants indique qu'il n'y a pas de procédure en place sur leur lieu d'exercice pour gérer les incivilités : « elles sont simplement ignorées ». Quand un référent sénior est présent, son intervention rapide est souhaitable, s'il en est informé. Les répondants circonscrivent trois recommandations : « agir immédiatement, écouter, soutenir », le soutien venant de la hiérarchie plutôt que de la base. Il est jugé important par les auteurs de réunir la personne à l'origine de l'incivilité au travail et la personne ciblée – « sauf quand le perpétrateur est justement le référent »…. Mais « il est aussi possible d'ouvrir la discussion sur le sujet au sein de l'équipe ». Le sujet peut aussi être lancé lors des réunions d'équipe sans qu'il ait été rapporté à une personne en particulier : « nous avons une réunion commune quotidienne où toutes les voix sont écoutées », précise un répondant. Vis-à-vis d'un client, il est aussi possible « de signaler son comportement, de le retirer de la liste des personnes dont les animaux seront suivis, voire de le réprimander ».

Approche en trois points

Pour une fois dans ce type d'étude, les auteurs concluent sur une proposition pratique de gestion en trois points :

  • « Écouter le personnel vétérinaire et prendre au sérieux les préoccupations concernant les comportements incivils des clients et des collègues.
  • Essayer de gérer les incivilités de manière proactive, en prenant des mesures dans le cadre de discussions d'équipe, de réunions individuelles avec le personnel concerné et en participant à la formation de l'équipe.
  • Apporter un soutien pratique et émotionnel au personnel (…), ce qui peut inclure l'élaboration de lignes directrices claires pour la gestion des incivilités et l'octroi de temps au personnel pour se remettre ».

La recherche (4 études publiées) indiquait déjà un impact négatif potentiel des incivilités sur le personnel vétérinaire, avec des rapports faisant état d'une baisse de confiance en soi, d'une humeur négative et d'une augmentation de l'anxiété. Ce travail complète ces aspects en distinguant les effets de l'incivilité par un client ou un collègue, en soulignant ses effets sur le stress et le burnout et en mettant en évidence le rôle positif que peut avoir un soutien de la part de la structure. Pour les auteurs, « la prochaine étape de cette recherche consistera à examiner les stratégies individuelles et les mécanismes de soutien organisationnel, afin d'identifier les meilleures pratiques de gestion des incivilités ».