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14 novembre 2024
Ne laissons pas les rois prendre le pouvoir dans les entreprises : ni les clients, ni les salariés !
Il a longtemps été un précepte de base dans l'univers commercial. Des marketeurs aux commerciaux en passant par les directeurs financiers, le culte du « client roi » était vénéré. Répondre à toutes ses demandes était la base. Ensuite, dénicher ses attentes et ses besoins, et enfin écouter ses exigences et ses caprices pour y répondre positivement, était le chemin à suivre, quitte à se mettre en difficulté. Cette toute-puissance accordée a provoqué et provoque encore une pression qu'il est difficile de tenir pour une majorité de salariés. Cette pression est devenue régulièrement insoutenable vu les exigences grandissantes des consommateurs et le sentiment de pouvoir extrême développé grâce à l'avènement des notes « Google ».
La toute-puissance du client s'est déportée aujourd'hui dans le monde du travail. Après l'avènement du « client roi » vient ainsi le temps du « salarié roi », particulièrement dans les nombreuses professions en difficultés de recrutement. Ce développement de comportements individualistes au détriment du collectif n'est pas sans impact négatif sur le bon fonctionnement de l'entreprise.
Se centrer sur les besoins des clients, décrypter leurs attentes et les questionner pour identifier leurs objectifs et les racines de l'évaluation de leur satisfaction ne sont pas à remettre en cause. Au sein des structures vétérinaires, il reste de nombreux leviers d'actions pour améliorer la relation clients et obtenir davantage de reconnaissance de leur part. Car la fidélisation des clients rapporte clairement à l'entreprise. Et en plus, elle est aussi un point de départ pour combler l'éternelle quête qui anime les équipes soignantes : la reconnaissance des propriétaires d'animaux ou des éleveurs.
La fidélité des clients est toujours jugée comme insuffisante par les vétérinaires (notée en moyenne autour de 6,5 sur 10 selon le panel Tirsev). La situation peut s'améliorer en considérant davantage les spécificités de chaque client et en adoptant une démarche davantage proactive vis-à-vis de lui. Cela peut consister en témoignant davantage de reconnaissance envers ses « meilleurs clients », clairement identifiés et segmentés, développer la formation et la communication vers ceux-ci (focus groupe, live sur les réseaux sociaux…), organiser des journées portes ouvertes pour leur permettre de visualiser l'ensemble du matériel et des locaux disponibles…
Faire plus pour (certains de) ses clients est encore possible au sein des structures vétérinaires. Cela n'autorise cependant aucun client à se laisser aller aux incivilités, à avoir des exigences inacceptables, ni à imaginer que la clinique peut être « open bar » pour lui et son animal. Poser des limites claires et respectées par tout le monde est essentiel pour préserver l'intégrité physique et morale des équipes. Car le « client roi » n'existe pas.
Deux notions restent toujours dans les mains des équipes soignantes et, surtout, celles des dirigeants. Ces limites sont, pour l'une, « Nous ne pouvons pas le faire » et, pour l'autre, « Nous ne voulons pas le faire ». Elles doivent être parfaitement bien vécues au sein de la structure, c'est-à-dire clairement assumées. Et même s'il peut arriver de temps en temps qu'elles donnent lieu à des retours négatifs sur les réseaux sociaux et des évaluations à 1 étoile sur Google ! Avec une moyenne en général autour de 4,5 pour les structures vétérinaires, basée bien souvent sur des centaines d'évaluation, l'impact d'une évaluation si basse est sans impact chiffré.
Par exemple, lorsqu'un client exige un rendez-vous ce matin en appelant à 9h45 pour un chien qui se gratte et qu'il n'y a plus de place disponible au niveau des rendez-vous, il est possible de répondre « Nous ne pouvons pas vous prendre ce matin ». Exprimé avec empathie et avec l'envie de trouver une solution rapide et satisfaisante pour lui, mais sans tordre le planning et mettre vétérinaires et/ou ASV en porte-à-faux. De même, à un propriétaire qui demande que la vaccination de son animal soit réalisée un samedi après-midi alors que ce n'est pas possible puisque la clinique ne reçoit pas pour des consultations vaccinales le samedi après-midi, il est possible de répondre, gentiment mais fermement, « Nous ne voulons pas le faire ». Un tel refus peut aussi être opposé à la commande d'un aliment spécifique que vous ne souhaitez pas référencer, ou à la prise de nouveaux clients en raison d'un sous-effectif chronique.
L'enjeu est de préserver la santé mentale des collaborateurs, de diminuer la pression morale et physique infligée. Apprendre à dire « non » à un client est bien souvent un chemin difficile, mais l'affirmation de soi permet d'augmenter l'estime de soi, l'esprit d'équipe et le plaisir à travailler.
La peur de perdre certains collaborateurs, ou de ne pas pouvoir recruter, pousse les dirigeants et managers à accepter parfois des comportements individualistes au-delà des limites. Cette tendance est générale, elle a donné naissance dans le monde anglo-saxon au concept des « entitled employees », c'est-à-dire les employés qui se croient tout permis ! Tout ce qui est fait pour eux est normal, et tout ce qui leur est refusé est une honte ! Évidemment, la pression leur est favorable dans un contexte de pénurie de ressources. Mais ce comportement n'est pas compatible avec l'esprit d'équipe, la coopération et la collaboration, indispensables dans les équipes soignantes. Exaucer à tout prix leurs demandes et revendications ne peut être une solution, même si cela procure une accalmie agréable. Car le répit est de courte durée, l'insatisfaction réapparaissant bien vite, sur le même sujet ou sur un autre. Le risque est également de créer un profond sentiment d'injustice dans le reste de l'équipe. La contagion gagne et l'insatisfaction devient générale.
Il est observé surtout qu'aujourd'hui, les « salariés rois » sont aussi une source de fatigue considérable pour les dirigeants. Non seulement ceux-ci sont obligés de passer beaucoup de temps et dépenser une énergie incroyable à gérer les incessantes revendications des uns et des autres, mais ils sont également amenés à compenser personnellement, pour éponger les trous dans des emplois du temps aménagés ou gérer les mécontentements connexes des autres salariés. Épuisement garanti ! Préserver l'intégrité des dirigeants et de l'équipe est, aujourd'hui plus que jamais, une priorité.
La première étape est de définir clairement, là encore, des limites, ce qui est possible de faire pour les collaborateurs… ou pas. Les outils principaux sont le règlement intérieur des salariés et les comportements attendus, issus par exemple des valeurs de l'entreprise. Ces outils permettent de partager les règles de bon fonctionnement dès l'entretien de recrutement. Car sans bornes, les desiderata de certains peuvent être sans limites, sans pour autant, à leurs yeux, dépasser… les bornes ! Impossible de recadrer si le cadre n'existe pas et n'est pas clairement partagé.
De nombreuses études montrent que cette tendance à l'individualisme est en expansion dans le monde depuis une cinquantaine d'années. L'instabilité du monde dans lequel nous vivons, les craintes pour l'avenir très proche, la priorisation de son propre bien-être et son confort sont des raisons identifiées pour expliquer cette tendance de fond.
La seconde étape pour enrayer ce phénomène est alors de s'intéresser à l'incontournable bien-être des salariés au travail. La qualité de vie au travail a certes une dimension organisationnelle, mais l'employeur ne saurait être considéré comme le seul responsable. En faire un enjeu collectif, partager l'idée que chaque collaborateur a sa part de responsabilité individuelle dans son propre bien-être et que donc chacun doit assumer ses propres responsabilités, permet de répartir la pression et de diminuer la charge qui pèse sur les épaules des dirigeants. L'individualisme de certains se nourrit d'être le seul responsable de la pression imposée.
Une façon de diminuer le risque d'émergence de salariés individualistes est de savoir reconnaître l'investissement des plus engagés. Car l'être humain réagit à l'absence ou à l'insuffisance de reconnaissance positive par une attitude négative, individualiste. Cela lui permet de prouver qu'il existe et qu'il a du pouvoir, même (surtout ?) si c'est au détriment de l'entreprise ou de l'équipe. L'individualisme se nourrit du sentiment d'indifférence.
En parallèle, entendre et répondre positivement aux revendications légitimes permet de limiter le niveau des demandes. 61 % des salariés français estiment que leur entreprise ne fait rien ou seulement des actions cosmétiques dans le domaine de la qualité de vie au travail. Ce qui conduit naturellement à demander beaucoup (donc trop !) pour obtenir un petit peu. Mieux vaut prévenir régulièrement que de chercher à guérir, surtout les individualistes incurables…
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