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Elanco & Proplan

14 mars 2025

Emydomyces testavorans, un champignon responsable d'ulcérations de la carapace des tortues aquatiques, à surveiller

par Sylvain Larrat

Temps de lecture  3 min

Tortue à tempes rouges de compagnie présentant des lésions de la carapace
Cette tortue à tempes rouges (tortue de Floride, Trachemys scripta elegans) présente des ulcérations multifocales à coalescentes de la carapace, surplombant des zones d'ostéolyses des plaques dermiques de la carapace. Le diagnostic différentiel de ce type de lésions inclut la “Septicemic cutaneous ulcerative disease” bactérienne, et l'infection par Emydomyces testavorans, qui paraît en émergence. Clichés : Sylvain Larrat.
Tortue à tempes rouges de compagnie présentant des lésions de la carapace
Cette tortue à tempes rouges (tortue de Floride, Trachemys scripta elegans) présente des ulcérations multifocales à coalescentes de la carapace, surplombant des zones d'ostéolyses des plaques dermiques de la carapace. Le diagnostic différentiel de ce type de lésions inclut la “Septicemic cutaneous ulcerative disease” bactérienne, et l'infection par Emydomyces testavorans, qui paraît en émergence. Clichés : Sylvain Larrat.
 

Une série de cas cliniques, majoritairement chez des animaux maintenus en captivité, rapporte que l'infection par le champignon pathogène Emydomyces testavorans peut être responsable de lésions, incluant des cas mortels, chez une très grande diversité de tortues d'eau douce : 27 espèces de 20 genres différents. La faible spécificité de cet agent pathogène est assez semblable à celle d'autres champignons kératinophiles pathogènes de l'ordre des Onygenales, comme Nanniziopsis guarroi chez les lézards ou Ophidiomyces ophidiicola chez les serpents. Ces champignons causent des dermatomycoses ulcérantes chez des animaux, en captivité comme dans la nature. Chez les tortues aquatiques, les lésions se traduisent par des ulcérations de la carapace indiscernables de celles du syndrome « Septicemic cutaneous ulcerative disease », d'origine bactérienne. Emydomyces testavorans peut aussi être responsable de décollements d'écailles, de décolorations de la carapace, d'une exposition des plaques osseuses dermiques et de déformations osseuses associées à de l'ostéolyse et à la formation de kystes contenant des débris de kératine. Des porteurs asymptomatiques sont aussi rapportés.

Quel rôle jouent les tortues de compagnie dans l'épidémiologie d'Emydomyces testavorans ?

Une étude de chercheurs de l'Illinois s'est intéressée à Emydomyces testavorans chez 64 individus. Elle a permis d'identifier 3 animaux porteurs, dont deux porteurs asymptomatiques. Ces trois animaux étaient des tortues à tempes rouges (tortues de Floride, Trachemys scripta elegans). Cette espèce, dont le commerce a été intensif et international, a été introduite dans de nombreuses régions – dont l'Europe occidentale, où elle démontre un grand potentiel d'invasion des milieux naturels. Les chercheurs se demandent maintenant si cette diffusion d'animaux n'aurait pas favorisé celle d'Emydomyces testavorans. Si c'était le cas, en plus d'une compétition pour les ressources, les tortues à tempes rouges pourraient favoriser la transmission d'agents pathogènes problématiques pour les tortues aquatiques autochtones, dont l'état de conservation est déjà fragilisé. En pratique, la situation épidémiologique d'E. testavorans en France et en Europe est mal comprise. Lors de présence de lésions ulcératives évocatrices, il est possible de préciser la suspicion par la visualisation d'hyphes fongiques sur des frottis ou des biopsies des lésions. Il est aussi possible de demander une PCR ou une culture fongique auprès de laboratoires spécialistes des analyses de reptiles, dans l'optique d'avérer la présence de ce pathogène en Europe et d'alerter les responsables de la conservation des espèces de tortues aquatiques endémiques. Dans l'Illinois, dans les comtés où les tortues à tempes rouges étaient historiquement absentes, les chercheurs recommandent de procéder à un retrait ciblé de ces animaux des milieux naturels, et d'en profiter pour poursuivre la surveillance d'Emydomyces testavorans.

Risque pour la conservation in situ

Entre 2019 et 2021, des chercheurs de l'Illinois ont réalisé des prélèvements systématiques sur 835 tortues sauvages appartenant à six espèces. Une attention particulière s'est portée sur les tortues mouchetées (Emydoidea blandingii), qui sont endémiques du nord des États-Unis, et qui sont classées « en danger d'extinction » par l'Union internationale pour la conservation de la nature. Ils ont mis en évidence le champignon pathogène émergent sur 3/437 tortues mouchetées, dont 2 avec des lésions, ainsi que sur 1/62 tortue à tempes rouges (Trachemys scripta elegans). Bien que cette prévalence soit nettement plus faible que chez les tortues captives, la présence d'E. testavorans soulève des inquiétudes pour la réussite des programmes de conservation des tortues mouchetées. Les chercheurs soulignent l'importance du respect des principes de biosécurité, incluant le nettoyage et la désinfection du matériel entre les manipulations de tortues sur le terrain, et des bottes ou cuissardes entre la fréquentation de points d'eau différents.

Tortue mouchetée sauvage et en bonne santé (Emydoidea blandingii)

La présence du champignon pathogène Emydomyces testavorans, bien qu'à de très faibles prévalences, chez des tortues mouchetées sauvages dans l'Illinois (USA) représente une source d'inquiétude pour la conservation de cette espèce classée « en danger d'extinction » par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cliché: Andrew C - Blanding's turtle (Emydoidea blandingii), CC BY 2.0.

Un problème déjà identifié dans d'autres populations de tortues menacées

E. testavorans a préalablement été documentée dans la nature chez d'autres espèces de tortues aquatiques américaines, en particulier la tortue de l'Ouest (Actinemys marmorata). Cette tortue, présente le long de la côte ouest américaine du Mexique au Canada, est classée « vulnérable » par l'UICN. Elle fait l'objet d'efforts de conservation importants depuis 30 ans. La présence d'E. testavorans dans les populations sauvages est là aussi considérée comme un facteur de risque non négligeable pour la conservation pérenne de ces tortues en milieu sauvage.