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Elanco & Proplan

4 décembre 2024

Les E. coli uropathogènes canines se portent d'autant mieux qu'Enterococcus faecalis est aussi présent

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Il y a bien coopération de deux espèces bactériennes lors de co-infection urinaire des chiens par E. coli et Enterococcus faecalis (EF), mais cela ne marche pas pour toutes les souches. Certaines E. coli pathogènes urinaires (UPEC) “répondent” à la proximité d'une colonie d'Enterococcus faecalis (colonie plus grosse et d'aspect mucoïde), et d'autres non (d'après Walker et coll. 2024).
Il y a bien coopération de deux espèces bactériennes lors de co-infection urinaire des chiens par E. coli et Enterococcus faecalis (EF), mais cela ne marche pas pour toutes les souches. Certaines E. coli pathogènes urinaires (UPEC) “répondent” à la proximité d'une colonie d'Enterococcus faecalis (colonie plus grosse et d'aspect mucoïde), et d'autres non (d'après Walker et coll. 2024).
 

Lors d'infections urinaires canines, il n'est pas rare que la bactériologie rende un résultat de co-infection, avec la présence d'E. coli et d'Enterococcus faecalis (EF). Cette association de malfaiteurs résulte-t-elle d'une coïncidence, d'une compétition pour une même niche écologique (l'appareil urinaire) ou d'une coopération entre deux espèces de Gram opposé ? Des microbiologistes et épidémiologistes vétérinaires de l'université de Raleigh (USA) viennent d'apporter une réponse : la présence d'EF favorise la croissance d'E. coli, mais seulement si la souche est équipée d'un plasmide particulier (de conjugaison).

Les ExpEC de la vessie, des UPEC

Les E. coli sont des entérobactéries, mais certaines populations de cette espèce ne nichent pas dans le système digestif : elles se sont adaptées à d'autres niches, extra-intestinales. Ces E. coli extra-intestinales sont souvent nettement pathogènes, d'où leur nom d'ExPEC (pour Extra-intestinal Pathogenic E. coli). Elles sont responsables de cystites et d'infections urinaires récurrentes chez le chien comme l'humain, et sont alors nommées UPEC (Urinary Pathogenic E. coli). Il n'y a pas un seul clone d'UPEC : ce sont souvent des populations diverses, y compris génétiquement. Elles sont dépendantes du fer pour leur croissance, et en son absence, elles sécrètent des exopolysaccharides (composants de la paroi), qui la protègent des agresseurs (peptides antimicrobiens et complément), en même temps que quatre complexes moléculaires indépendants, tous impliqués dans la captation du fer du lilieu extérieur (sidérophores). De son côté, EF est une bactérie possédant une résistance antimicrobienne intrinsèque importante, des facteurs moléculaires lui permettant l'évasion immunitaire, et est capable de produire des biofilms robustes, qui la mettent à l'abri des concentrations thérapeutiques en antibiotiques, par exemple dans la vessie.

Coculture in vitro

Pour explorer la nature de la relation de croissance entre les deux espèces bactériennes, les auteurs ont utilisé 11 souches d'E. coli isolées à partir de cas d'infection urinaire chez le chien (UPEC), et dont la bactériologie avait aussi montré la co-infection avec EF. Ils ont ensuite cultivé chacune de ces 11 souches en présence d'une seule et même souche d'EF. Les souches d'UPEC ont d'abord été ensemencées seules avec la présence d'un chélateur du fer dans le milieu. En parallèles, elles ont été ensemencées dans les mêmes conditions, mais avec présence plus ou moins proche (voir l'illustration principale) d'EF sur la gélose. Le même essai a été réalisé sans chélateur de fer : c'est seulement lorsqu'il est présent que 10 des 11 UPEC ont une croissance nettement supérieure à proximité d'EF, passant de 102,6 UFC/g sans EF à > 104,6 UFC/g en “coculture” (soit une croissance améliorée d'un facteur 100, p<0,01).

C'est la capsule !

La totalité du génome de ces 12 souches a été séquencée et les auteurs ont réalisé un arbre phylogénétique pour les UPEC : elles appartiennent à 4 groupes génétiques différents (A, B1, B2 et C). Et certaines de ces souches appartiennent aux mêmes groupes que des E. coli ExPEC d'origine aviaire (poulets d'élevage). En comparant la souche d'UPEC canine qui répond le mieux en présence d'EF à la souche qui répond le moins, les auteurs identifient qu'il y a 75 protéines chez la première qui sont absentes de la seconde, dont :

  • deux protéines de captation du fer extracellulaire (aérobactine et yersiniabactine),
  • et les gènes responsables de la synthèse des exopolysaccharides capsulaires ; de fait, les colonies de ces UPEC sont alors d'aspect mucoïde, alors que celles de la souche ne “répondant” pas à EF n'a pas cet aspect (lisses).

Et… le plasmide de conjugaison

Pour évaluer si ces propriétés ont un rôle sur la pathogénicité, les auteurs ont donc inoculé des embryons de poulet avec soit une souche “répondeuse” (ayant mieux poussé en présence d'EF et donc ayant produit une capsule), soit une souche “non répondeuse”. Alors que les souches d'UPEC initiales sont peu virulentes (pas de mort de l'embryon), la souche “répondeuse” (c'est-à-dire ayant mieux poussé à proximité d'EF) cause une proportion significativement plus élevée (p<0,05) de décès de l'embryon. L'autre souche (non répondeuse) n'augmente pas le taux de mortalité par rapport à l'inoculum initial. Retournant à l'analyse génomique, les auteurs observent que si toutes les souches d'UPEC ont bien un plasmide de conjugaison, chez les souches répondeuses celui-ci est possède aussi le gène de l'aérobactine (l'un des sidérophores d'E. coli), tandis que chez la souche non répondeuses, il lui manque un gène essentiel pour faire cette conjugaison — et celui de l'aérobactine. Lorsqu'ils retirent ces deux gènes du plasmide d'une souche répondeuse, elle devient alors non-répondeuse. « C'est la première fois que des déterminants génétiques de la coopération » entre les deux espèces bactériennes sont identifiés.

Multiples activations

Les résultats du typage des UPEC « suggèrent que cette synergie de croissance au cours de la co-infection est un phénomène commun et répandu, qui ne se limite pas à des souches particulières [clonales] d'ExPEC ou d'EF ». La présence d'EF (lors de co-infection) activerait :

  • le niveau d'expression de deux des 4 systèmes de capture du fer chez les UPEC, qui sont aussi des facteurs de virulence chez les ExPEC ;
  • et celui de la synthèse d'exopolysaccharides capsulaires, permettant à la souche de se protéger de la réponse de l'hôte (paroi, biofilm). Cela, alors que les système de capture du fer et la synthèse d'exopolysaccharide capsulaires sont déjà associés chez les ExPEC même sans EF, se soldant par une virulence accrue.

Au bilan, les auteurs soulignent que « l'importance clinique de l'augmentation de la virulence des ExPEC par EF en cas de co-infection doit être prise en compte » par les praticiens. Et comme les UPEC canines peuvent appartenir aux mêmes groupes génomiques que les E. coli pathogènes aviaires, il est légitime de s'interroger sur le rôle que pourrait jouer la viande de poulet crue dans la contamination des chiens recevant un régime BARF…