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Elanco & Proplan

5 novembre 2020

Intoxication par ingestion de cycadophytes : charbon activé et surveillance des ALT et plaquettes

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Chez Cycas revoluta (ou cycas du Japon), comme chez les autres cycadophytes, c'est la totalité de la plante qui est toxique, même si la teneur la plus élevée en toxines est contenue dans les graines (cliché : Jared Preston, wikimedia).
Chez Cycas revoluta (ou cycas du Japon), comme chez les autres cycadophytes, c'est la totalité de la plante qui est toxique, même si la teneur la plus élevée en toxines est contenue dans les graines (cliché : Jared Preston, wikimedia).
 

Belles et dangereuses. Les cycadales (qui comprennent les genres Cycadaceae et Zamiaceae) comptent 360 espèces, la plupart étant appréciées comme plantes ornementales, d'intérieur comme d'extérieur. Ces gymnospermes, dont la disposition des feuilles rappelle les palmiers, sont toxiques par ingestion… Ce sont les graines qui contiennent la plus forte concentration en toxines, rappellent des toxicologues vétérinaires dans une étude rétrospective de 130 cas d'intoxication canine, mais toutes les parties de la plante sont dangereuses.

Toxine activée

Les principales toxines sont sous forme de précurseurs dans le végétal (azoglycosides), qui vont être métabolisées par la flore intestinale en méthylazoxyméthanol, composé hépatotoxique responsable de l'ictère et de la coagulopathie, de vomissements, diarrhée et inappétence. S'y ajoutent des neurotoxines, « responsables de faiblesse, ataxie, convulsions et tremblements ». Les premiers signes cliniques apparaissent dès 4 h après l'ingestion, mais les signes liés à l'atteinte hépatique peuvent ne se manifester qu'après 24 à 72 h. Les publications rapportant ce type d'intoxications mentionnent une mortalité pouvant concerner plus de deux cas sur trois (67 %).

Seuil d'ALT à 125 U/l

Deux études antérieures ont identifié des différences significatives entre survivants et cas décédés, pour les valeurs en alanine aminotransférase (ALT), bilirubinémie, l'hypoalbuminémie et thrombocytopénie. Une autre étude avait relevé l'intérêt du charbon activé dans le traitement de l'intoxication, mais sans déboucher sur un protocole standard. Ils auteurs ont donc recherché dans les dossiers médicaux de deux cliniques de référés du Texas, les cas d'intoxication survenus entre début 2015 et fin 2018 : ils identifient 130 chiens ayant ingéré une partie de cycadophyte et dont la totalité du traitement et du suivi médical étaient documentés ; 12,3 % d'entre eux sont décédés (la plupart par euthanasie). Les auteurs ont classé les chiens en deux groupes : ceux qui présentaient une concentration initiale en ALT > 125 U/l (n=43) et ceux ayant au plus cette valeur seuil (n=87). Ils observent que la partie de la plante ingérée (graine, feuille, ‘bulbe') n'est pas associée à ces groupes (l'ingestion de graines est associée à une mortalité plus élevée, sans atteinde de seuil de signification statistique). En revanche :

  • le taux de survie est plus élevé pour une plus faible concentration en ALT (95 ,4 % vs. 72,1 % pour ceux à concentration > 125 U/l, p<0,01). L'âge et le poids des chiens n'étaient pas corrélés à la mortalité, mais le critère ALT>125 U/l l'était (p<0,01) ;
  • les auteurs calculent que le délai entre l'ingestion et l'admission est également corrélé au risque de décès, mais que c'est « un indicateur moins précis que le seuil d'ALT » ;
  • les fréquences des diarrhées (11,6 et 2,4 %) et de la léthargie (23,3 et 8,3 %) sont plus élevées dans le groupe > 125 U/l (p=0,04 et p=0,02, respectivement).

Risque de décès x 14,3

Il n'y avait pas de différence pour les vomissements. En revanche, bien que seule la moitié des cas (n=64) dispose d'une numération plaquettaire à l'admission, plus du quart de ces chiens étaient en thrombocytopénie (<200 000 plaquettes/µl). Le risque d'avoir une concentration en ALT>125 U/l était 3,5 fois plus élevé parmi les chiens en thrombocytopénie par rapport aux autres. Et le risque de décès était 14 fois plus élevé si le chien présentait une thrombocytopénie à l'admission. Tous les chiens ne présentant aucun signe clinique au moment de l'admission (n=23) ont survécu. A l'inverse, étaient significativement associées à la mortalité la présence de diarrhée (p=0,04, la léthargie (p<0,01), l'anorexie (p=0,04), les tremblements (p=0,04), la faiblesse générale (p=0,02) et les convulsions (p<0,01). Plus le nombre de signes cliniques était élevé à la présentation du cas, et plus le risque de décès était élevé (80 % des cas à 5 signes cliniques).

Charbon activé

Lorsqu'ils s'intéressent au traitement reçu par chaque animal, les auteurs observent que :

  • dans le groupe à ALT à 125 U/l au plus, l'administration de charbon activé était plus fréquente (87,6 % des cas, contre 69,8 % pour les ALT>125, p=0,02). Dans deux cas sur trois, il y avait au moins 2 administrations de charbon ;
  • dans le groupe à ALT>125, l'administration de plasma frais surgelé et de vitamine K étaient plus fréquentes (23,3 vs. 2,3 % et 30,2 vs. 8,1 %, respectivement, p<0,01 dans les deux cas), cette administration tardive expliquant probablement l'absence d'effet significatif de ces traitements.

Indépendamment de la concentration en ALT, les auteurs calculent que l'administration de charbon est associée à une réduction de 82 % du risque de décès. Lorsqu'ils limitent leur analyse statistique au seul groupe d'animaux à ALT>125 U/l, l'effet préventif du charbon est encore plus important, avec une réduction de 95 % du risque de décès. A l'inverse, l'intervention via le plasma ou la vitamine K étaient associés à un sur-risque de décès (x 14,2 et x 5,2, respectivement), mais les auteurs n'ont pas évalué s'il s'agissait surtout de chiens n'ayant pas reçu de charbon…

Recommandations

Bien que reconnaissant le besoin de conduire une étude prospective sur de tels cas, les auteurs font quatre préconisations :

  • L'élimination du toxique doit être « initiée dès que possible,
  • Un traitement à base de charbon activé avec un composé laxatif semble approprié,
  • Une surveillance des enzymes hépatiques, une numération plaquettaire et les temps de prothrombine sont importants, comme indicateurs pronostiques précoces car ils peuvent orienter la discussion sur les options thérapeutiques ;
  • Et finalement si la concentration initiale en ALT est élevée et que l'anima est en thrombocytopénie, une surveillance renforcée est nécessaire, comme un traitement plus agressif ».